The Strangers - Prey at Night (USA 2018)

Réalisation : Johannes Roberts

Scénario : Bryan Bertino, Ben Ketai

Interprétation : Christina Hendricks, Martin Henderson, Bailee Madison | Voir le reste du casting

 

En 1996, Wes Craven prenait un genre moribond, le slasher, pour lui redonner vie avec panache, dérision et volonté de réinventer un monde aux formes à la fois tortueuses et jubilatoires. S'ensuivit une avalanche de films arborant tueur à l'arme blanche, prenant leurs convulsions citationnelles pour des astuces, leur ironie pour preuve d'intelligence. Ce qui restait, indépendamment de la qualité des films, était une sorte d'état toujours jubilatoire à faire de l'horreur, à imaginer les assauts les plus improbables, comme autant de figures sportives. Cet élan existe encore aujourd'hui, si l'on en croit l'excellent slasher méta The Town That Dreaded Sundown (Alfonso Gomez-Rejon, 2014) ou la saison 9 d'American Horror Story, qui hystérise l'affaire en réalisant un slasher sériel de plus de dix heures. Ce que ne faisaient pas des séries comme Scream ou Scream Queens, qui ponctuaient leur intrigue sérielle policière de meurtres et de situations (en ce qui concerne la deuxième) comiques. Ici, on prend une unité spatio-temporelle (une nuit dans un camp de vacances) et en avant. Même s'il faut, pour cela, tricher en ajoutant de nombreuses circonvolutions narratives et autres flashbacks.

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Au milieu de cette furie du slasher joyeux et cynique, existent encore quelques exemples de films qui jouent le jeu d'une véritable fureur, prenant le genre comme support nerveux à leurs obsessions ou leurs désirs de formes brutes (Jeepers Creepers de Victor Salva, 2001, Détour mortel de Rob Schmidt, 2003). C'est dans cette marge qu'il faut ranger The Strangers – Prey of Night.

L'heure n'est plus à l'hommage, ni à la célébration d'un genre en pleine résurrection. Dès les premiers plans du film, on a conscience que la fête est finie. Et qu'elle ne se ranimera jamais vraiment. Les lieux ne sont pas un terrain de jeu de massacre, c'est un trailer park fantôme, sans le moindre habitant. Si l'on excepte les principaux protagonistes et les assaillants, pas le moindre figurant. L'espace est sombre, brumeux, éclairé par des lampadaires qui ne fonctionnent pour personne. Pourtant, de multiples indices témoignent que si la fête est finie, elle a eu lieu tout de même. Dès l'arrivée des meurtriers, une chanson dansante des années 80 exhale de la voiture sans visage, réminiscence primitive des voitures sans corps des années 70 et 80 (Duel de Steven Spielberg (1973), Christine de John Carpenter (1983), The Car d'Elliot Silverstein (1977)...). Or l'hommage n'est pas un clin d'œil joyeux, c'est un rappel sinistre : l'âge d'or d'un genre est bel et bien enterré et, si le film s'emploie à le faire renaître, ce n'est pas sur un mode positif et volontaire : plutôt évanescent et mortifère.

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Plus tard, une séquence de meurtre aura lieu dans une piscine éclairée de néons colorés. Ici encore, une fête a lieu pour les fantômes. Les assauts ont aussi un côté désincarné, désaffecté. Si de nombreux zooms accompagnent les assaillants, leurs pas sont lourds, leurs gestes lents, l'ensemble des gestes violents se nimbent d'une sorte d'apathie cotonneuse. Il y a quelque chose de l'ordre de l'énergie tournant à vide du premier Massacre à la tronçonneuse (Tober Hooper, 1973). Des tueurs égarés dans un monde amorphe qui trouvent une certaine excitation (relative, puisque les seuls mots que l'on prête à l'une des tueuses est un incertain « Pourquoi pas ? ») à réveiller la stupeur en massacrant des personnages lambda. Ce « pourquoi pas » semble répondre à une interrogation latente : « pourquoi la famille s'évertue-t-elle à vivre ainsi ? A quoi bon ? » Néanmoins, le film de Tobe Hooper faisait se heurter l'apathie du monde à l'hystérie de la famille. Ici, pas d'hystérie. Comme si Massacre et Halloween (John Carpenter, 1978) avaient fusionné pour accoucher d'un éloge funèbre au slasher.

La citation et l'utilisation du genre est ainsi plus proche d'un Ti West que d'un Wes Craven, puisque The Strangers – Prey at Night en brandit des oripeaux (vaillamment, certaines séquences d'épouvante sont réellement efficaces) comme on se rappellerait avec tendresse et nostalgie d'une époque qui n'est plus. Une époque qui lève le masque de cartoon de ses meurtriers pour dévoiler non pas le visage sans visage du Mal, mais l'apathie ordinaire d'une époque sans joie.

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