BIFFF 2019-Dreamland
Dreamland (USA-Canada-Luxembourg-Belgique – 2019)
Réalisation : Bruce McDonald
Scénario : Tony Burgess, Patrick Whistler
Interprétation : Juliette Lewis, Henry Rollins, Stephen McHattie | Voir le reste du casting
En 2008, sortait Pontypool, idéal de série B allumée (un virus s'y transmet par le langage, qui transforme tout le monde en infecté babillant), référencée, et allumée jusque dans la collision de ses références (John Carpenter, George Romero et William Burroughs s'y côtoient, Frank Miller s'invite le temps d'une coda improbable...). Bête de festival et objet étiqueté culte dès la sortie du four, cet excellent film, plutôt abordable en fin de compte, était en fait l'arbre qui cachait une forêt bien plus obscure et tortueuse.
De la logique, Bruce McDonald se fiche comme de sa première paire de santiags. Bien avant Pontypool, il a déjà réalisé plusieurs dizaines d'épisodes de séries TV et téléfilms, une poignée de road-movies foutraques nimbés de punk (Roadkill en 1989, Highway 61 en 1991, Hard Core Logo en 1996), plusieurs films néo-Noirs plus (The Tracey Fragments, 2007) ou moins (Picture Claire, 2001) étranges. Hyperactif, il continuera à officier à la fois au cinéma et à la télévision, tirant à vue, sans plan de carrière et sans draguer quiconque. Ni les festivals internationaux (Trigger, 2010, et The Husband, 2013, sont tout de même passés par TIFFF, dans le Canada natif de McDonald) ni les fans de films d'horreur (voir l'incroyable film d'horreur onirique Hellions (2015), qui ne va jamais là où on l'attend).
C'est justement à Hellions que l'on pense lorsqu'on apprend que le nouveau long-métrage de Bruce Mcdonald est intitulé Dreamland. Un titre un peu trop programmatique, au pitch qui l'est beaucoup moins : au Luxembourg, un chef de gang pas bien stable psychologiquement engage un tueur à gages pour couper le doigt d'un brillant saxophoniste junkie, qui doit se produire tout bientôt pour un bien étrange mariage. L'étrangeté du résumé est accentuée par des fantaisies du casting : le chef de gang est interprété par Henry Rollins, qui s'amuse comme un petit fou en ce moment à apparaître ci ou là dans une poignée de projets marginaux (on l'a croisé tout récemment dans Now Apocalypse, la série de Gregg Araki). Surtout, le tueur à gages et le saxophoniste sont joués par... le même acteur, à savoir l'habitué du cinéaste Stephen McHattie.
Le projet du film réside ainsi, en grande partie, dans les déambulations d'une figure qui cherche à se chasser elle-même, comme les visages cherchaient à se parasiter et s'annuler l'un l'autre dans le Performance de Cammell et Roeg, influence criante de McDonald. Un monstre à deux visages, aussi mutique en tueur qu'en musicien. Une créature à deux têtes, dont la main caresse ou bien une arme, ou bien un instrument, sans qu'il soit interdit de n'y voir aucune différence. C'est sur terrain que le film peut se montrer passionnant, dans ses raccords entre ces mains et ces visages dissociées par le récit mais assimilés par cette unique figure qui, alternativement, se pourchasse ou se fuit elle-même.
Non content de cette errance schizophrène, McDonald ajoute une histoire de vampire capricieux, et d'obscure cérémonie qui réunira les vampires de l'Histoire, riches assassins et défilé de dictateurs. Mais McDonald n'est pas le Sono Sion qui fait feu de tout bois dans sa série Tokyo Vampire Hotel, et il reste malheureusement engoncé dans ses idées folles, sans parvenir à en exhaler toute la folie. Comme s'il ne savait pas tout à fait quoi faire de son concept, ni quoi dire. Le mode mineur de la traque n'épouse jamais tout à fait le mode majeur de la farce vampirique, et le film est trop retenu pour son propre bien. La curiosité n'est que trop rarement transcendée, et l'expérience que constitue le spectacle ne dépasse pas vraiment une sorte de fascination embryonnaire, qui n'éclot pas. Ce qui ne nous empêchera pas de suivre les efforts à venir de ce cinéaste iconoclaste, avec qui nous ne sommes jamais, jamais à l'abri d'une surprise supplémentaire. En espérant que la surprise soit meilleure la prochaine fois.