Ted Bohus est un original, producteur et réalisateur d'une flopée de films de genre, parmi lesquels on compte The Deadly Spawn. Nous avons également la joie de le compter parmi nos confrères, puisqu'il s'occupe d'une revue papier dédiée aux effets spéciaux au cinéma, SPFX.

Bonjour Ted. Tout d'abord, je tiens à vous remercier de prendre ce moment pour répondre à mes questions. Pour commencer, j'aimerais parler de l'origine de votre cinéphilie, qui me semble essentielle si l'on veut comprendre The Deadly Spawn...

Oui, j'ai toujours aimé les films de monstres. Le premier souvenir que j'ai, c'est de m'arrêter dans un drive-in avec ma famille, et Prisonnière des martiens (Ishiro Honda, 1957) était projeté. Pour un gamin, c'était extraordinaire, et à partir de là j'ai regardé et adoré tous les films de science-fiction classique que j'ai pu trouver. Planète interdite (Fred Wilcox, 1956), La chose d'un autre monde (Christian Niby, 1951), Les survivants de l'infini (Joseph Newman, 1955), La guerre des mondes (Byron Haskin, 1953), La machine à explorer le temps (Georges Pal, 1960), L'homme qui rétrécit (Jack Arnold, 1957). Au niveau des films à petit budget, je considère toujours qu'il est difficile de faire mieux que I Married a Monster from Outerspace (Gene Fowler Jr, 1958), mais au final, mon film favori reste La vie est belle (Frank Capra, 1946), allez savoir pourquoi !

Le film de Capra n'a en effet pas vraiment l'air à sa place dans cette liste, pourtant il y a en effet un feeling très joyeux et naïf dans The Deadly Spawn. Avant de travailler sur ce film, cependant, vous vous êtes aguerri en travaillant comme producteur pour le cinéaste fou Don Dohler, sur Fiend (1980) et Nightbeast (1982). Comment l'avez-vous rencontré ?

Nous formions un réseau de personnes qui allaient dans de nombreuses conventions, dans les années 70, et bon nombre d'entre nous se sont rencontrés ainsi. Nous nous rencontrions durant ces conventions, et nous regardions les films des autres, il y avait une forme de camaraderie. C'est comme ça que j'ai rencontré Don Dohler, et nous avons décidé de devenir partenaires sur Nightbeast et Fiend. On a fait deux versions de Nightbeast, je n'arrêtais pas de lui dire qu'il fallait mettre plus de gore et d'action dans le film, mais Don aimait tout faire lui-même, et il ne m'écoutait pas trop. Nous étions en train de faire la première version de Nightbeast, et mon pote John Dods, qui a aussi fait The Deadly Spawn avec moi, a travaillé sur le design de la créature en ma compagnie. Il a aussi donné un coup de main pour l'histoire. Cette version du film est restée inachevée, car Don a engagé un type pour boucler le tournage, ils se sont engueulés ou quelque-chose du genre, je ne me souviens pas très bien mais c'était très chaotique. Au final, Don a réussi à boucler la seconde version de Nightbeast, après des années d'effort, et il en a profité pour balancer des tonnes de gore ! Concernant Fiend, j'étais producteur sur le film mais je ne me souviens pas bien de mon implication artistique, il me semble que j'ai trouvé la fin, mais ce n'est pas certain. Ce film se tourna sans trop de problèmes.

Vous avez ensuite commencé l'écriture de votre première histoire pour le cinéma, un manuscrit qui allait devenir The Deadly Spawn. Avec ce scénario, que vouliez-vous atteindre ?

Après avoir bossé avec Don, je voulais faire mon propre film. J'ai appelé John Dods et je lui ai lancé : « Hey, tu voudrais faire un film bien à nous, ici, dans le Jersey ? » et il m'a répondu, simplement, « Ouais, on va le faire. » C'était le point de départ. Nous avons décidé de faire un film de monstres, tout simplement car ils se vendaient bien et étaient populaires, au moins dans notre esprit. Moi, ce que je voulais particulièrement filmer, c'était un design de créature que l'on n'aurait jamais vu sur un écran avant, quelque-chose de malin. J'ai bossé sur une série de croquis, j'avais lu une histoire sur des scientifiques qui avaient trouvé des cosses dans l'Artique, et quand ils avaient planté les graines des plantes avaient poussé. Je me suis dis qu'un météore avec une chose dormant à l'intérieur, une chose n'attendant qu'une occasion pour se réveiller, était une idée géniale. Bon, je ne me rendais pas compte que c'était déjà l'histoire de Danger planétaire (Irvin Yeaworth Jr, Russel Doughten Jr, 1958), que je n'avais pas encore vu. Je pensais que j'avais eu l'idée du siècle !

L'influence d'éléments anciens, d'autres films de science-fiction et d'horreur que vous aimiez, cependant, se ressent beaucoup, mais on a l'impression que vous ne vouliez pas simplement rendre un hommage au genre, que vous vouliez aussi produire des formes nouvelles, non ?

Oui, le truc, c'est que nous avions l'impression que ce que vous appelez les éléments anciens étaient les seules images que nous pouvions manier. C'était le début des années 80... j'aimais et j'aime toujours l'idée d'un gros monstre en plastoc. Alors j'ai travaillé sur mes designs, j'avais l'impression que ça avançait, que cette chose allait être une grosse saloperie rampante avec des bras qui se plient dans toutes les directions. Une chose avec trois têtes de serpents. Celle du milieu serait un masque, les deux têtes des côtés seraient contrôlées par des techniciens, par derrière. Les bras auraient des pinces, qui seraient aussi actionnées par des techniciens. J'imaginais bien cette chose, avec trois têtes, quatre bras... J'ai montré mes idées à John, et il a grimacé : « On doit vraiment mettre un type dans un costume ? » et je ne pouvais lui répondre qu'une chose : « En fait, on est tellement fauché que c'est l'idée que j'ai eu, mais si tu peux faire mieux autrement pour la même somme, ça me va très bien ! » Je lui ai donné mes designs, j'ai insisté sur la nécessité d'avoir beaucoup, beaucoup de dents. Il est revenu avec des croquis, certains étaient assez bizarres, d'autres carrément hors-budget. Mais il m'a montré une image, juste un tronc avec trois têtes et les pinces qui sortent du sommet, et des tentacules en bas. J'ai trouvé que c'était ce qu'il nous fallait.

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Le monstre fait pas mal penser à l'œuvre d'HP Lovecraft, c'était conscient ?

Non, pas du tout, je n'avais même pas lu Lovecraft. J'étais vraiment fan de science-fiction, par contre je ne m'y connaissais pas trop rayon horrifique et fantasy. J'avais trouvé le premier Dracula (Tod Browning, 1932) chiant comme la mort. Moi, je voulais un monstre de l'hyperespace avec plein de dents, c'est tout !

Sur The Deadly Spawn, vous avez reçu l'aide de beaucoup de personnes très talentueuses, dont Tim, un des frères Hildebrandt, qui a travaillé sur l'exceptionnelle miniature qui ouvre et ferme le film. Il a aussi réalisé le poster et l'intertitre. Comment l'avez-vous rencontré ?

Comme Don Dohler, à une convention de science-fiction dans le New Jersey. Nous avons commencé à discuter, avec Tim et Greg, et le courant est bien passé. Nous aimions exactement les mêmes choses ! Tim et moi adorions La guerre des mondes, et quand je lui ai dis que je voulais tourner un film, il m'a dit qu'il préférerait faire ça que de continuer la peinture ! Nous sommes restés amis, et je l'ai appelé quand j'ai eu besoin d'un coup de main sur le film.

Charles Hildebrandt, le fils de Tim, joue dans le film, ça donne un peu l'impression de regarder un film de famille.

Oui ! D'ailleurs, nous avons tourné dans la maison de Tim ! Sa femme, Rita, nous a beaucoup aidé. Il faut imaginer ce que ça peut être, d'avoir une équipe de tournage qui vient chez vous tous les weekends pendant un an !

En parlant de famille, votre frère, Robert, a travaillé sur les effets spéciaux du film, c'est bien ça ?

Oui, mon frère connaissait beaucoup de personnes qui étaient en école de cinéma. Ils nous ont tous donné un coup de main, et mon frère s'est pas mal amusé avec les effets spéciaux, effectivement. Mon père et ma mère jouent aussi dans le film.

Pourriez-vous revenir sur la manière dont vous avez engagé Doug McKeown, le réalisateur ?

Doug était un ami de John. Comme nous nous sommes rendu compte que nous ne pourrions pas tout faire nous-mêmes, avec nos boulots alimentaires, John a suggéré de demander à Doug de diriger le film. Le truc, c'est qu'après quelques temps Doug et John ne pouvaient plus s'encadrer, et ne voulaient donc plus travailler ensemble. Il a fallu choisir entre l'un et l'autre, et j'ai finalement pris le parti de celui que je connaissais depuis le début, John. C'est donc John qui a dirigé certaines scènes dans la cave, et qui s'est aussi occupé de quelques plans supplémentaires.

La musique du film est excellente, avec son Theremin qui donne vraiment une belle ambiance fifties. Qui a eu cette idée ?

Nous avions trois personnes qui travaillaient exclusivement sur la musique et les effets sonores : Michael Perilstein et Ken Walker ont composé l'essentiel de la musique, Paul Cornell a fait le reste. J'ai juste dis que je voulais du Theremin quelque-part, pour faire comme dans Le jour où la terre s'arrêta (Robert Wise, 1951), un film que j'adorais.

Après The Deadly Spawn, qui a eu son petit succès, vous avez travaillé sur une suite, mais le film est finalement sorti sous le titre de Metamorphosis (1990). Pourquoi ce changement de titre ?

Oh, c'est une longue histoire. Effectivement, Metamorphosis était The Deadly Spawn 2, à l'origine, et nous avions un budget d'un million de dollars. Je pense d'ailleurs que ça se voit, la dernière demi-heure de Metamorphosis vaut n'importe quel autre film de monstres, nous avions tout ce qu'il fallait : des prosthétiques, des animatroniques, une bestiole de deux mètres cinquante de haut en animatronique, de la stop-motion, des miniatures. Tout ça, dans un film coûtant seulement un million ! Une des créatures était supposée être le rejeton de notre première créature, qui venait accompagné. Nos équipes ont bossé comme des dingues, et ça a donné ces petites bestioles avec des petites dents.

L'idée, c'était de donner l'impression qu'elles étaient en pleine mutation, quelque-chose que nous n'avions pas vraiment réussi à faire dans The Deadly Spawn. Le problème, c'est que nos investisseurs ne voulaient pas vraiment vendre un film ayant coûté un million de dollars comme la suite d'un film ayant coûté 20 000 dollars, ils pensaient que ce n'était pas bon pour l'image. C'est donc finalement devenu Metamorphosis. Je trouvais ça pas mal, jusqu'à ce qu'on se pointe sur un marché du film, à Los Angeles, et que je tombe sur le poster d'une production italienne, également titrée Metamorphosis ! Du coup, nous avons accolé The Alien Factor au titre de notre film, pour le rendre différent.

Est-ce que ce film fut une expérience aussi joyeuse que The Deadly Spawn ?

Non, pas du tout. J'ai passé un sale moment sur Metamorphosis, car j'ai fait l'erreur de travailler avec de nouveaux partenaires, et toute la production a été une longue et difficile bataille. C'était une mauvaise expérience, j'ai donc décidé que je ne ferais plus jamais ça, et que si je voulais tourner de nouveaux films, il faudrait que je trouve l'argent, que j'écrive et que je dirige moi-même. C'est pour cela que sur mon film suivant, Regenerated Man (1994), j'ai un budget qui tourne autour de 75 000 dollars, mais au moins j'ai le contrôle artistique. Et j'ai quand même tourné en 35mm ! Ce fut un tournage génial, une super expérience.

Sur Metamorphosis, le réalisateur était Glen Takakjian, c'est bien ça ?

Oui, mais il s'est trouvé au milieu des tirs croisés, il y avait vraiment pas mal de problèmes, je me suis retrouvé à diriger la seconde unité du film et un certain nombre de plans mettant en scène les monstres.

Dans Metamorphosis comme dans The Deadly Spawn, il y a quelque-chose de vraiment sexuel dans le design des créatures, alors que les films ne sont pas vraiment érotiques par ailleurs. Vous diriez que ces créatures donnent une forme au refoulé, à l'inconscient ?

Oui, c'est marrant, je ne me suis pas rendu compte que la bestiole de The Deadly Spawn ressemblait à un pénis avant que quelqu'un ne me le montre. Bon, mon design original ressemblait un peu moins à une bite.

Que pensez-vous de l'esthétique actuelle des effets spéciaux ? Pour vous, les images de synthèse produisent-elles la même impression de réalité que le latex ?

Je pense que ça va de mieux en mieux. Chaque année, ils règlent un problème. Au début, les poils étaient un gros problème, ce n'est désormais plus le cas. J'ai toujours l'impression qu'ils ont du mal à rendre l'impression de foule, ou d'un être vraiment massif... mais dans l'ensemble, les images de synthèse d'aujourd'hui sont quand même impressionnantes ! Cependant, j'aime toujours mes monstres en plastique, c'est comme ça.

Vous avez tourné Vampire Vixens from Venus (1995) après The Regenerated Man. Alors, trouve-t-on enfin un moyen d'améliorer les relations homme/femme sur Vénus ?

Vampire Vixens from Venus... Quand j'ai eu l'idée de ce titre, je pensais que c'était super. Tous ces V. Et puis, d'un coup, il y a eu une vague de films de merde, avec des titres comme Test Tube Teens from the Year 2000 (David Decoteau, 1994). Une série de films avec des titres tordus, tous plus nazes les uns que les autres ! Il n'y avait pas de monstres, pas d'aliens, juste des meufs à poil qui sautaient dans tous les sens. Au moins, dans le mien, il y avait des aliens, et d'autres trucs, en plus des meufs.

J'ai voulu changer le titre en Vampire Invaders, ou un truc du genre, mais le distributeur adorait mon titre original. Je leur ai expliqué que j'avais fait des recherches sur le marché, que ce titre n'allait pas être bon pour nous, et ils ont juste dit non. De nombreuses compagnies qui prévoyaient d'acheter le film ne l'ont pas fait, quand ils ont vu les autres films aux titres foireux se vautrer, et on s'est retrouvé le bec dans l'eau. Ils ne regardent même pas les films : ils les achètent simplement sur un catalogue, selon le titre.

Depuis, vous vous êtes un peu éloigné de l'horreur et de la science-fiction, avec This thing of ours (2003) et Destination Fame (2012). Vous avez l'impression d'avoir fait le tour du cinéma de genre ?

Non, en fait j'ai travaillé sur pas mal de projets mais je n'ai pas forcément été crédité, ou le film ne s'est pas fait. Je n'ai pas vraiment envie d'être connu comme un scénariste ou un designer, ce n'est pas mon truc. J'ai pas mal travaillé comme script doctor, par exemple : des japonais m'envoyaient des scénarios, qu'ils voulaient américaniser, et je m'en chargeais. Assez souvent, au lieu de reprendre leurs scénarios, je leur expliquais que c'était assez proche d'un script que j'avais déjà, et je leur vendais simplement mon travail. Sur This Thing of Ours, j'étais heureux de travailler avec James Caan, Frank Vincent et Vincent Pastore. C'était un bon projet, et nous avions un budget décent.

Faire Destination Fame, c'était aussi quelque-chose : une comédie musicale avec Cuba Gooding ! Après avoir fait de nouveau des films à gros budget, j'ai encore eu des problèmes avec des partenaires. Je ne me sais pas exactement ce qu'il s'est passé, nous étions avec un groupe d'amis et nous voulions simplement faire un film. Chacun a mit un peu d'argent, et nous avons tourné Hell on Earth (2008). C'est une histoire toute bête : un groupe de personnes se trouve dans une maison, qui est fermée par magie. Un portail donnant sur une autre dimension s'ouvre, et des zombies débarquent. Les personnages doivent se battre contre les monstres pour sortir de la maison. C'est vraiment un film fauché, avec un budget équivalent à The Deadly Spawn, mais tout le monde a mit la main à la patte. C'est toujours fun de faire un nouveau film d'horreur, j'adorerais faire un film combinant trois courts, un peu comme Creepshow (Georges Romero, 1982) ou Twilight Zone (1983).

Et pourquoi pas une suite à The Deadly Spawn, enfin ?

Et bien, je travaille avec Anthony Rojero sur un roman graphique issu de The Deadly Spawn, mais aussi sur une préquelle et une suite. Les distributeurs aiment ce genre de propositions, avec une bande-dessinée et un film, déjà prévu, juste au cas où. Si ça se fait, je vous tiens au courant !

Avec plaisir ! Merci, Ted.

Merci à vous, c'était un plaisir.

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