Entretien avec Douglas McKeown
Douglas McKeown est le réalisateur d'un seul long-métrage de fiction, mais quel film ! The Deadly Spawn reste l'un des plus sincères film des années 80, avec son intrigue digne d'un classique fifties et sa débauche de latex et de faux sang. Dans l'entretien qui suit, son réalisateur nous en dit un peu plus sur la genèse et l'éprouvant tournage de The Deadly Spawn.
Bonjour Douglas. Tout d'abord je tiens à vous remercier de nous accorder cet entretien, c'est très important pour moi qui suis un grand fan de The Deadly Spawn, je trouve le film très beau...
Ah ! C'est la première fois qu'on me dit que The Deadly Spawn est très beau, tiens !
Si vous le voulez bien, j'aimerais que l'on revienne d'abord sur la manière dont vous avez été impliqué dans ce projet – c'est par le biais de John Dods, le responsable des effets spéciaux, c'est bien ça ?
Oui, exactement. À l'époque, je connaissais John sous le nom de Bruce Dods. C'était le frère de mon amie Susan. J'avais pu voir son travail de maquettes et d'animations, absolument fascinant, des choses qu'il avait fait dans la cave de la maison de la famille, depuis son plus jeune âge. On a commencé à travailler ensemble dans les années 70, il s'est notamment occupé des effets visuels pour une pièce shakespearienne que je dirigeais, mais aussi de l'animation pour une maison hantée dont j'avais géré l'élaboration sur la côte du New Jersey.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler sur The Deadly Spawn ?
Je travaillais à New York comme metteur en scène de théâtre, mais aussi comme écrivain et comme acteur, quand j'ai reçu un coup de fil de John, depuis le New Jersey. Il m'a expliqué qu'il travaillait avec un autre type sur un film de monstre, et m'a simplement demandé si je voulais travailler avec eux. J'avais toujours rêvé de diriger un long-métrage, dans n'importe quel genre. J'avais déjà tourné des courts, dont un documentaire avec étudiants, mais jamais de film d'horreur. Je me sentais complètement qualifié, par contre ! Rien à faire de travailler avec un budget proche de zéro.
Comment s'est passé la préparation du tournage ?
Lors de notre premier rendez-vous, ils m'ont expliqué qu'ils voulaient que je « dirige les acteurs ». J'ai alors eu l'impression qu'ils voulaient mettre en scène le film, ou le reste du film, comme si on pouvait diviser ainsi le travail de réalisation. Je ne pensais pas que ce soit une bonne idée, j'ai donc refusé, en leur expliquant que je ne travaillerais sur le film que si je pouvais mettre en scène le film dans son ensemble – avec John qui se chargerait de tous les effets spéciaux, comme je savais qu'il était très qualifié dans ce domaine. Ils ont accepté, à contrecœur. Ce nid de poule aurait dû m'avertir que la route sur laquelle je roulais était un peu dangereuse.
À ce stade, il y avait un scénario sur lequel s'appuyer, ou simplement les grandes lignes de l'histoire ?
En fait, ça m'a surpris car il n'y avait rien de plus que l'idée de faire un film avec un monstre venu de l'espace. Je me suis donc mis au boulot sur le scénario, en leur proposant de se concentrer sur une famille, une intrigue, une période de 24h de manière à rester dans le cadre de notre budget et d'avoir un bon contrôle sur l'intrigue. J'ai crée les personnages et la grande majorité de l'histoire tout de suite, sauf la fin. Par contre, je réécrivais les dialogues quand on les tournait, semaine après semaine, sur une période qui a duré plus d'un an, entre 1980 et 1981. Bien sûr, nous parlions tous les trois constamment de l'histoire pendant que nous avancions sur le tournage. On tombait d'accord sur de petits ajustements, je faisais des pages de storyboard pour les passages complexes, mais dans l'ensemble je crois que nous n'avons pas changé grand-chose à l'histoire à partir du moment où nous nous sommes lancé dans le tournage. Juste quelques dialogues, quelques petits détails sur les personnages. Par exemple, Madeleine Charanis, qui jouait Ju-Ju, une des dames végétariennes, avait fait ses études à Paris, nous l'avons donc fait prendre un accent français pour ajouter des « Voilà ! » à tout bout de champ. On s'est aussi amusé, avec Karen Tighe, qui jouait Kathy de manière un peu trop douce, à faire déraper un tout petit peu le personnage.
Il se dégage quelque-chose d'unique du film, avec son mélange d'éléments du cinéma des années 50 et ses ambiances de petite ville américaine. D'où cela provient-il ?
Et bien, j'ai grandis dans le New Jersey, donc il était important pour moi d'évoquer la sensation d'une enfance dans les quartiers résidentiels, à cette époque. Je rendais aussi hommage aux films de science-fiction et d'horreur des années 50, ces pépites à petit budget. En tant qu'enfant, j'avais été marqué par L'invasion vient de Mars de William Cameron Menzies (1953), le Tarantula de Jack Arnold (1955), mais aussi Le météore de la nuit (Jack Arnold, 1953), L'homme qui rétrécit (Jack Arnold, 1957) ou Des monstres attaquent la ville (Gordon Douglas, 1954). Les classiques que j'ai vu à la télévision restent mes films favoris : les films de James Whale, Frankenstein (1931), La fiancée de Frankenstein (1935), L'homme invisible (1933), le King Kong de Merian C. Cooper (1933).
Ces influences se ressentent fortement dans votre film, mais il a aussi quelque-chose de plus libre, de plus moderne.
Devenu adulte je suis devenu un vrai cinéphile, je les regardais pour les étudier. J'ai découvert les grands réalisateurs, Lang, Hitchcock, Welles, Ford, Renoir, Wyler, j'aimais bien la tension entre Amérique et Europe, et ce que ça peut donner dans le traitement cinématographique de mon pays. J'adore L'ombre d'un doute (Alfred Hitchcock, 1943), Règlement de comptes (Fritz Lang, 1953), Les plus belles années de notre vie (William Wyler, 1946) ou L'homme du sud (Jean Renoir, 1945), par exemple.
Un autre aspect très réussi du film concerne la créature, dont l'aspect est vraiment superbe, mais j'imagine que ça a dû être un challenge de tourner autant de plans d'effets spéciaux avec un aussi petit budget, non ?
Oui. Ce qui était difficile, c'était de remplir mes obligations, qui étaient d'avoir le plus de plans possibles contenant à la fois les acteurs et les effets spéciaux – nous étions tombé d'accord pour procéder ainsi, dans l'espoir de rendre le monstre réel, de le faire vraiment interagir avec les personnages. Je pensais que c'était la seule façon d'obtenir un impact viscéral sur le spectateur. J'ai toujours détesté les effets spéciaux passant par des plans d'insert, ça me sort du film. Ils sont nécessaires, bien évidemment, mais il faut toujours au moins un plan-clef, un plan qui établit la relation entre l'acteur et la créature, qui l'affirme dans l'espace. Même gamin, je me rendais bien compte que la méthode hollywoodienne pour tourner des effets spéciaux avec un petit budget était de tout tourner d'un coup, séparément, et d'insérer les images dans les scènes. On pouvait se rendre compte de cela, même à un niveau inconscient, ça donnait une impression de tricherie. Je parle d'effets physiques, bien sûr, bien avant l'apparition des images de synthèse. Enfin, sans surprise, sur le plateau de The Deadly Spawn les effets n'étaient pas toujours complètement prêts quand nous devions tourner les scènes impliquant les acteurs. Ou tout du moins pas aussi prêts que ce que voulait John Dods. Comme je ne pouvais pas garder les acteurs des heures à attendre que les effets soient prêts, je lui ai demandé une paire de fois d'employer les créatures non terminées, ça l'agaçait vraiment. Je pense que sa volonté de produire le meilleur travail possible s'est malheureusement trouvée en opposition avec ma volonté de produire le meilleur film possible. Combat des volontés !
C'est quelque-chose qui ressort aussi dans le rythme du film et le style de mise-en-scène, qui changent parfois violemment d'une scène à l'autre, comme s'il y avait deux films en un.
Oui, c'est effectivement le cas, je considère le film terminé comme ayant une sorte de double personnalité. John a crée des effets spéciaux aussi impressionnants qu'intelligents, qui marchent bien avec les acteurs, mais il y a aussi des effets qui furent ajoutés quand je n'étais plus impliqué dans le film. Naturellement, ces parties sont plus joliment photographiées, il y avait plus de temps pour les réaliser. Je trouve que c'est parfois trop soigneux, trop propre par rapport à l'approche naturaliste, réaliste que j'avais prise – j'aime Hitchcock, mais je ne voulais pas faire un film d'Hitchcock. C'est de cela que provient la double personnalité du film. Bien évidemment, j'aurais voulu avoir une plus belle photographie sur l'ensemble du film – sur certains plans c'est moi qui manipule la caméra, ce qui n'est pas mon truc – et une direction plus harmonieuse. Mais bon, au fil des ans, j'ai décidé d'accepter ces « deux mondes » comme une qualité du film : The Deadly Spawn est ce qu'il est, et aujourd'hui John et moi sommes d'accord pour dire que nous aimons le film. Et puis, toute une génération de fans s'est fait son propre avis, les gens ont l'air d'aimer le film justement parce qu'il est dingue et difforme !
Il y a quelques longues scènes de dialogues dans le film, comme la discussion entre le gamin et le psy, qui contribuent à son rythme étrange. C'était déjà dans le scénario, ou bien c'est la manière dont les choses ont tournées sur le plateau qui ont influencé la structure globale du film ?
Non, c'était prévu. J'ai voulu tourner les scènes avec le rythme que j'avais en tête en les écrivant. Les scènes dialoguées étaient écrites pour produire un rythme régulier, lancinant, celui d'une matinée pluvieuse, l'atmosphère soporifique d'un jour ordinaire. Ça devait servir de contrepoint avec les scènes horrifiques. J'ai fais attention à ne pas trop bouger la caméra, et à ne pas faire trop de coupes et de gros plans durant ces scènes – de manière à rendre les scènes d'action plus saisissantes. Je savais aussi que n'avoir à préparer qu'un ou deux angles de caméra serait plus efficace, vu notre budget et nos contraintes temporelles. L'entretien entre le psychologue et Charles est une de mes scènes préférées dans le film. Nous n'avons fait que deux prises, avec des champs-contrechamps en accroche épaule, et le monteur a réussi à trouver le rythme que j'avais en tête en écrivant la scène. J'ai juste un regret, celui de ne pas avoir pu superviser le montage pour pouvoir réconcilier les deux « personnalités » qui ressortent du film.
Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois que je regarde le film, j'ai l'impression que vous êtes vraiment du côté du personnage de l'enfant. Vous étiez comme Charles, dans votre jeunesse ?
Juste un peu, mais j'avais effectivement une prédilection pour les blagues, j'aimais bien effrayer des inconnus en élaborant des maquillages et des costumes – créer une petite histoire, quoi ! Il y a quelques touches dans le film, en dehors du moment où Charles essaie d'effrayer l'électricien, qui sont directement connectées à ma personnalité : les posters de films sur les murs de la chambre, les exemplaires de Famous Monsters of Filmland qu'il apporte à la table du petit déjeuner, le masque qu'il fabrique, et surtout son attitude quand son oncle lui pose toutes ces questions.
Je pense qu'un des aspects les plus sous-estimés du film est la direction d'acteurs. Le casting est bien choisi, mais surtout les acteurs interagissent très bien ensemble, on sent vraiment qu'on regarde une famille prendre un petit déjeuner, des amis qui discutent... C'était un point important, pour vous ?
Oh, oui. Il faut qu'on puisse croire à la scène de base, avec des vrais gens ayant des vraies vies dans un vrai endroit, si on veut ensuite introduire un élément fantastique. Pour que le spectateur croit au cauchemar, il faut d'abord qu'il croit au quotidien. Je voulais que la famille ait l'air le plus normal possible, aussi normal que n'importe qui dans le New Jersey, j'ai même essayé de reproduire les tournures étranges, les conversations un peu non-sensiques. Enfant, je trouvais toujours que les relations humaines dans les films à petit budget avaient un côté artificiel, et qu'il aurait fallu y porter plus d'attention, d'autant que les scènes horrifiques reposaient sur des monstres en papier-mâché. Bon, j'ai lu des critiques en ligne de The Deadly Spawn qui considèrent que les scènes dont nous sommes en train de parler, que vous considérez comme sous-estimées, sont « chiantes ». Je suis probablement mon plus rude critique, donc je sais de quoi ils parlent.
Vos personnages ne sont pas de simples silhouettes, ils ont une certaine personnalité, une réactivité...
Oui, beaucoup de fans du film trouvent les personnages du gamin, des ados, intelligents. Ça me plaît, car en tant que gamin de neuf ans dans un cinéma du New Jersey, j'ai souhaité un grand nombre de fois que les personnages soient plus malins. Je ne voulais pas que mes personnages sortent de leur cadre, mais je voulais surtout qu'ils restent plausibles. Les spectateurs anticipent les clichés relatifs au genre, il faut donc garder un temps d'avance sur eux, et rendre les personnages au moins aussi intelligents que les spectateurs. Nous faisons des choses à cause de notre personnalité, pas parce qu'il faut arriver à un nœud de l'intrigue ! Et puis, il ne faut pas oublier que dans The Deadly Spawn toutes ces discussions entre les ados sur l'opposition entre la science et la science-fiction sont directement en rapport avec l'intrigue. Ils trouvent une petite créature bizarre, morte, qui vient de l'espace, ce qu'ils ne savent pas encore. Pendant que les deux garçons discutent de son existence, Ellen agit et la dissèque pour voir ce qu'elle peut en apprendre. Rétrospectivement, je pense que son personnage est assez innovant pour l'époque et le genre de film que nous tournions. En tout cas dans les films sur lesquels nous nous basions, ceux des années 50, les femmes scientifiques pouvaient bien être très intelligentes, elles étaient toujours montrées comme des créatures faibles, sans défense, des victimes idéales qui devaient compter sur des mâles musculeux pour venir les sauver. Ellen était sans doute inspirée de Ripley dans Alien (Ridley Scott, 1979), que j'avais vu l'année précédente, c'est ce que j'avais en tête. Sa tête à elle, par contre, devait être séparée de son corps, car je voulais montrer que dans ce monde la fille n'est pas toujours sauvée et le garçon n'est pas toujours un héros.
Ted Bohus, le producteur du film, nous a dit qu'il y avait eu des différents artistiques entre vous et John Dods, et que c'est pour cela que vous n'avez pas terminé le tournage. Que s'est-il passé ?
Il y avait des désaccords entre nous, mais John a prit une mauvaise décision à cause de sa frustration et de son propre désir de réaliser le film, ce qui a provoqué mon départ du film avant que nous ne puissions tourner les séquences d'effets spéciaux supplémentaires – une grosse erreur, comme il l'a reconnu, ce que je n'ai su que 25 ans après le tournage. Je m'étais toujours demandé pourquoi le réalisateur du film n'était soudainement plus le bienvenu, alors qu'il restait des choses à tourner. Je dois ajouter que John s'est depuis excusé, ce dont je le remercie, et nous sommes désormais au clair là-dessus.
C'est dommage que vous n'ayez pas tourné d'autres longs-métrages, après des débuts aussi réussis. Vous avez eu d'autres projets après The Deadly Spawn ?
Non. C'était une bêtise. Et j'ai bien peur que l'on ne puisse pas compter un scénario que j'ai écris et réécris depuis une éternité comme un projet. Je ne pense pas que les gens aient envie d'entendre parler d'un film qui n'a pas vu le jour, et je ne saurais pas en parler, de toute façon. Mais je suis toujours heureux d'utiliser une caméra pour d'autres projets, quand l'occasion se présente.
Quel souvenir gardez-vous du tournage, c'était une bonne expérience ?
C'était marrant et usant, mais je dois mettre l'emphase sur le côté marrant. Pour moi, il y a un frisson dans la réalisation d'un film, quel que soit le budget. En fait, d'une certaine manière, moins on a d'argent plus on devient inventif, et plus le processus créatif devient excitant. Il est difficile de dire à quel point ça peut être satisfaisant de raconter une histoire par le cinéma, avec des éléments provenant de tous les arts : les lettres (des lignes de dialogues griffonnées sur du papier brouillon), la photographie (une caméra 16mm et des pellicules provenant de stocks différents), la dramaturgie (des acteurs professionnels, d'autres amateurs), l'architecture (la maison d'une connaissance), la couture (ce qu'on trouve dans un placard), la sculpture (une bestiole baveuse et géante) ou la cuisine (un ami d'un ami qui fabrique des bidons de « sauce verte ») et voir tout ça se rencontrer sur un écran devant une salle pleine de spectateurs.
Pour vous, la mise-en-scène est donc plus satisfaisante que le jeu d'acteur ?
Oui, complètement, la mise-en-scène de films est la plus belle activité qui soit.