Vincent Maia vient de sortir À couteaux tirés, l'histoire du slasher movie, un livre essentiel pour qui veut en savoir plus sur l'histoire d'un des versants les plus fascinants du cinéma horrifique : le slasher. Oui, le slasher, avec ses tueurs impitoyables et ses adolescents paumés, ses débordements sanglants, ses musiques entêtantes et ses travellings aériens. Dans À couteaux tirés, Vincent Maia propose une approche historique du genre, de sa formation à partir de motifs issus du cinéma hitchcockien ou du giallo à son revival dans les années 90. De chapitre en chapitre, l'auteur offre un tour d'horizon exhaustif du slasher, qui revient autant sur les chefs d'œuvres du genre que sur des films plus méconnus. À la lecture de cette excellente introduction au slasher, nous avons voulu en savoir plus, et sommes donc allé poser quelques questions à son maître d'œuvre...

Bonjour Vincent. Ma première question portera sur ta passion pour le slasher movie. Quel en fut le déclencheur ?

Ce fut tout simplement le fait d'être adolescent quand le revival a frappé de plein fouet. J'ai découvert Scream lors de sa sortie vidéo, ce qui m'a permis de le voir à quelques mois d'intervalle de Souviens-toi... l'été dernier et d'autres slashers qui sortaient alors. J'ai vu tous ces films lorsque j'étais encore au lycée, et c'est une période où l'on découvre beaucoup de choses, où les passions naissent véritablement ou s'affermissent pour les plus précoces d'entre nous. J'étais dingue de cinéma depuis tout petit, et quand ces films sont arrivés, j'étais le parfait public pour eux. Ils tranchaient radicalement avec ce que la première moitié des années quatre-vingt-dix nous avait apportés. Ces œuvres ont donné un nouveau souffle au cinéma d'horreur qui flanchait alors, cela ne pouvait que me séduire à l'époque.

Qu'est-ce qui t'as donné envie d'écrire un livre sur le sujet ?

L'idée d'écrire un tel livre m'est venue lors d'une soirée avec un ami, où nous nous sommes remémorés cette période à grand renfort de demis. Tout récemment, j'avais réussi à aligner 150 pages sur un mémoire d'histoire parfaitement inintéressant pour la quasi-totalité des êtres humains, je pouvais donc m'en sortir en accouchant de 200, 250 pages sur un sujet qui me passionnait vraiment. Quant à l'envie, je dois admettre que le principal moteur de l'écriture de ce livre réside dans un sentiment de nostalgie pour cette période. J'ai grandi dans une station balnéaire, le genre de commune où le calme hivernal contraste fortement avec le tumulte estival. L'hiver, avec mes amis, nous organisions beaucoup de soirées cinéma qui tournaient presque exclusivement autour de deux genres : les teen comedies ou les films d'horreur. Le comble était de mélanger les deux. C'est une période qui compte beaucoup pour moi, et je voulais rendre honneur au cinéma populaire de cette seconde moitié des années quatre-vingt-dix. Deux choix principaux s'offraient donc à moi : écrire sur les American Pie et consorts ou sur les slasher movies. La seconde solution me semblait plus intéressante, d'autant plus que je redécouvrais les slashers de la première vague à ce moment-là. Je commençais à avoir une vision d'ensemble du sujet.

Ton livre propose un grand tour d'horizon du genre, en revenant autant sur les films les plus connus que sur des petites pépites moins accessibles. Peux-tu préciser le sens de cette démarche ?

J'aime bien m'attaquer en profondeur à un sous-genre cinématographique, avec toutes les lectures sur le sujet que je peux me procurer. Et j'ai toujours été irrité de lire des ouvrages qui reviennent sur les sempiternels mêmes films, si importants soient-ils. J'avais envie de faire une petite place aux éternels oubliés. Sans compter que dans un phénomène d'imitation en série d'un film-étalon à succès, les films qui sortent dans l'ombre ont aussi leur impact sur le devenir de ce phénomène, dans le bon comme dans le mauvais sens. Par exemple, dans le slasher film, les petites productions fauchées ont déjà précipité sa perte, en lassant le public du début des années quatre-vingt. Je ne me voyais pas intégrer ces films méconnus comme une masse immonde qu'on expédie en un paragraphe. Puis, depuis maintenant quelque temps, je me suis astreint à une démarche visant à chercher le bon dans le mauvais, à toujours dénicher quelque chose de positif, même dans ce qui apparaît au premier abord comme une erreur cinématographique.

Quels sont tes films favoris dans le slasher movie, et pour quelles raisons ?

Scream : pour la qualité du scénario de Williamson, notamment le cynisme des personnages, ce qui n'a pas manqué de me plaire. Souviens-toi... l'été dernier : parce que c'est une œuvre destinée à incarner le mieux les slashers de sa génération (ne laissons pas tous les honneurs au film de Craven). Cherry Falls : parce que je ne peux pas m'empêcher d'éprouver de l'affection pour le vilain petit canard de la bande. Le Sadique à la tronçonneuse : car il est rare que le gore arrive à me faire rire aux éclats. Ici, ça marche. Halloween : car Halloween. Black Christmas : pour la noirceur qui colle à la pellicule de ce film, et en fait, selon moi, une œuvre très éprouvante dans son genre. Le Jour des fous : car ce film n'apporte rien, pas la moindre innovation, pas la moindre petite idée qui pourrait le différencier d'un autre, mis à part le masque du tueur, mais ça arrive quand même à fonctionner. Massacre à la tronçonneuse : tout en sachant qu'il n'est pas toujours évident de le ranger dans les slashers, je le mentionne car il fait tout simplement partie de mes films préférés. Alice Sweet Alice : parce que le film emploie des éléments scénaristiques très difficiles à manier. Meurtre à la Saint-Valentin, The Single Girls (je suis fan de Claudia Jennings), Survivance, Vendredi 13, Cold Prey...

On sent la liste d'un amoureux du genre! Par ailleurs, dans le livre, tu fais une belle généalogie du slasher, en trouvant des précédents entre autres chez Hitchcock et dans le giallo, mais pourquoi penses-tu qu'à un moment précis, le slasher soit devenu LA forme cinématographique horrifique par excellence ?

Comme dans toutes les modes cinématographiques, ça arrive quand un chef-d'œuvre critique et commercial attire l'attention d'une puissante industrie du cinéma dans un pays disposant d'un important marché intérieur. Pour que le sous-genre devienne le phénomène que l'on connaît, ça ne pouvait qu'arriver aux États-Unis après la sortie d'une bombe, et Halloween a parfaitement rempli ce rôle. Vendredi 13 a confirmé le potentiel commercial des slashers, d'autant plus que ces films pouvaient être tournés pour presque rien. Les projecteurs de l'industrie se sont braqués sur ces films, et tout le monde s'est mis à en produire, les majors comme les indépendants. Le public s'est pris au jeu, jusqu'à ce qu'il manifeste ses premiers signes de mécontentement. Donc, je pense que si le slasher est subitement devenu LA forme cinématographique horrifique par excellence au tout début des années quatre-vingt, c'est avant tout par appât du gain. Mais il faut préciser que tout est véritablement parti d'un chef-d'œuvre, que je classe aisément dans le top 10 des films d'horreur. Et par la suite, nombreux sont ceux qui n'ont pas cédé aux sirènes du fric facile et ont produit des slashers par amour du genre.

Halloween

 

Au niveau de l'écriture, tu adoptes un ton assez relax, mais tu restes très précis dans les informations que tu donnes – c'était pour être cohérent avec ton sujet ?

Oui, mais j'ai avant tout cherché à aborder un ouvrage sur le cinéma d'une manière moins conventionnelle. De plus, on ne peut pas plonger la tête la première dans le slasher movie en restant sérieux, avec un ton académique, universitaire. Lisez les ouvrages de type « thèse » en langue anglaise sur le sujet, c'est un travail remarquable qu'il faut saluer, mais ce n'est pas ce que je recherche à lire. À l'autre opposé, je me suis déjà exprimé sur la plupart des livres qui abordent un genre cinématographique, et leur propension à parler systématiquement des films marquants, en omettant la partie immergée de l'iceberg. Je voulais me situer au milieu de ces deux approches. Et oui, je pensais que ce style d'écriture collait davantage à une étude sur les slashers. Respecter le sujet, car il apporte des œuvres savoureuses depuis maintenant plus de quarante ans, et apporter dans l'écriture un peu de l'humeur que ces films nous procurent.

Dans quelle mesure le slasher est-il pour toi un genre subversif ?

Selon moi, le slasher film est un genre subversif car il a prouvé au grand jour que la censure n'avait pas disparu aux États-Unis (et n'a toujours pas disparu, regardez comme la tonalité des films a changé après le 11 septembre), et ce, bien après l'abrogation du code Hays. Il y a même des pays avec lesquels ça s'est très mal passé, regardez les films visés par le phénomène des Video nasty au Royaume-Uni, les slashers figurent en tête de liste des films bannis. Dans nos sociétés occidentales, deux éléments polémiques ont fait avancer les choses pour que nous puissions aujourd'hui pleinement apprécier les films que l'on aime : la violence et le sexe à l'écran. Si les slashers n'ont pas versé abondamment dans la seconde catégorie, comme la plupart des gens le pensent, le sous-genre ne s'est pas retenu sur la violence graphique. C'est même sa marque de fabrique. La censure n'avait pas disparu, loin de là, elle avait simplement changé de forme, et c'est ce que ces films ont permis de montrer. Les slashers ont repoussé les limites de ce qui était montrable à l'écran, et entamé un travail de responsabilisation du public, qu'une commission de censure ne pouvait plus traiter comme des enfants qu'il faut chaperonner.

Tu termines ton livre sur la possibilité d'une seconde trilogie Scream. Penses-tu que le slasher ait un avenir cinématographique ? Ses codes vont-il perdurer, ou bien sont-ils, selon toi, une forme principalement issue du passé ?

Bien sûr, il suffit de rajeunir l'univers des films pour l'adapter à la réalité des nouveaux spectateurs. Le slasher movie existe et produit des succès depuis plus de quarante ans, je ne vois pas pourquoi ça devrait cesser. Ses codes sont universels et ne sont pas spécialement ancrés dans une période bien définie. Ficelez un scénario correct, même sur une trame aussi éculée que celle du slasher film, confiez le projet à un réalisateur qui aime le genre, quelqu'un de compétent, bien sûr, mais surtout quelqu'un qui respecte et aime profondément le cinéma d'horreur, et servez-le à la nouvelle génération de spectateurs. Ça peut donner un beau succès capable d'engendrer des imitations parfois plaisantes. Et je suis persuadé que le phénomène peut repartir de plus belle. Ne dis-t-on pas d'ailleurs : « jamais deux sans trois ».

Une dernière question... Dans notre revue, on aime bien fantasmer un film qui n'existe pas, extrapoler ce qui aurait pu se passer si... Tu as un slasher fantasme ?

Au cours de recherches, j'étais tombé sur une interview de Tarantino dans laquelle le réalisateur laissait fortement sous-entendre qu'il aurait envisagé son nouveau projet sous l'angle du slasher, peu avant le début de l'écriture du Boulevard de la mort (il reprend d'ailleurs certains codes du sous-genre, c'est flagrant au regard des personnages). Bien sûr, il n'aurait pas accouché d'un slasher stricto sensus, mais je pense qu'on aurait pu toucher au sublime avec ce film. Sinon, même si je sais qu'un trailer réussi ne fait pas nécessairement un bon film, je ne peux pas m'empêcher de penser aussi au Thanksgiving d'Eli Roth, justement tourné pour Grindhouse. Je le mentionne, car le projet, après une fausse joie, s'écarte peu à peu d'un développement en bonne et due forme et menace de tomber définitivement dans la catégorie des « si jamais ».

Merci beaucoup, Vincent.

Merci Adrien. Je tiens à profiter de l'occasion pour te remercier, ainsi que tous ceux qui ont permis à ce livre d'exister : Christophe, la personne à l'origine de la couverture, Catherine, la correctrice, mais aussi ceux qui m'ont aidé récemment comme Bruno (Metaluna store), Patrice (Hors-circuits), Mario (Le Club des Monstres), Christophe (Devildead), Jean-Michel (Oh My Gore!), Claude (EcranBis), Quentin (Strange-Movies), André (Sin'Art), Anto (Horror-ScaryWeb), Didier (Médusa), Isabelle (Avenue de l'Horreur)... sans oublier mes amis qui m'ont soutenu pendant ces dernières années.

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