Entretien avec Alain Damasio (bonus #12)
Alain Damasio le dit lui-même : il est davantage cinéphile que lecteur compulsif. Ce qui arrangeait bien nos affaires de scribouillards es cinéma de genre. D'autant qu'en bon auteur de SF, l'écrivain connaît ses classiques sur le bout des doigts. De Blade Runner à Ghost in The Shell en passant par... RoboCop, dont il est capable de parler des dizaines de minutes d'affilée, avec une joie communicative. Si nous avons beaucoup parlé cinéma pour notre entretien lisible dans notre nouveau numéro en grande partie consacré à Paul Verhoeven, nous avons évidemment parlé littérature aussi. Il nous a semblé logique d'intégrer dans le #12 ce qui concernait essentiellement le cinéma. Toutefois, pour que les (nombreux) lecteurs de l'auteur de La Horde du Contrevent ne restent pas sur leur faim, voici un riche complément où est discutée plus frontalement son oeuvre passionnante.
Dans certaines de tes nouvelles, on n'est pas dans le futur, mais dans une sorte de version alternative de notre présent.
Aujourd'hui, tous les auteurs de SF disent la même chose : le développement technologique a été tellement puissant et rapide que tu n'as plus la possibilité de faire de l'anticipation technologique comme tu le faisais avant. Avant, tu avais une technologie comme le nucléaire et tu pouvais faire du post-apo, ou bien partir des robots et anticiper leur devenir... Le développement technologique était suffisamment lent pour pouvoir prendre une technologie, considérer qu'il s'agissait du paradigme d'une époque puis l'exploiter. Aujourd'hui, le développement est si rapide que la seule chose que tu puisses faire c'est cartographier le présent et y saisir un ou deux éléments technologiques qui te paraissent intéressants au niveau paradigmatique pour déployer quelque chose. Du coup, on devient des cartographes du présent, on essaye d'identifier ses schémas. C'est justement le titre du livre de William Gibson, Identification des schémas, que je trouve très juste. Tu essayes de scanner le présent à partir d'une zone qui te paraît vraiment intéressante et tu déploies à partir de là. C'est pour ça qu'aujourd'hui on part souvent du temps présent. Sans parler du fait que la SF a toujours été spéculative, tu utilises le futur pour interroger le présent. Par ailleurs j'aimais bien l'idée de fausse réalité. Poser la privatisation du langage dans « Les hauts parleurs » comme un passé proche, par exemple. Comme si l'overdose d'info nous avait fait manquer certaines choses.
Cela dit, pour moi en ce moment la SF vit un nouvel âge d'or. Depuis l'émergence d'internet, du smartphone et de toutes les technologies de réseaux, on a un boulot, une responsabilité, un décryptage du présent à travers ces technologies qu'on est obligé de faire puisqu'aucun autre genre littéraire ne s'en chargera. C'est à nous de réfléchir à la manière dont la technologie va renouveler notre rapport au monde, au groupe, à soi. Comment elle va nous réinventer. Comment on vit la drague aujourd'hui avec le portable, quel est notre rapport à la nature avec des milliards de webcams partout et cinq écrans par jour qui s'interposent entre nous et le réel. Je pense qu'on a passé ce fameux seuil anthropologique où l'on passe plus de la moitié de sa vie éveillée sur écran, en virtuel. Il faut observer ce que ça change dans ta façon d'aborder le réel. C'est en cela que la SF n'est pas un genre mineur, mais un genre majeur.
La Zone du Dehors a été réécrit. Pourquoi ? Y avait-il une idée de réactualisation de la langue, ou voulais-tu y intégrer de nouvelles problématiques ? Y avait-il un souci lié à l'aspect contemporain du propos, le lien du livre avec son époque ?
Deux choses : il y a eu une réécriture purement littéraire car les deux premiers chapitres sont tout de même deux gros blocs de philo. J'ai donc essayé de fluidifier car c'est très peu romanesque à certains moments. D'autre part, j'ai essayé de moderniser un certain nombre de technologies que j'avais complètement ratées, notamment dans les techniques récentes de traçabilité. J'avais loupé ça, ça m'exaspère beaucoup d'ailleurs. J'ai essayé de réactualiser, mais ça reste un livre daté. Le fait que le principal outil de surveillance soit une caméra par exemple. Là j'ai raté le truc majeur, je m'en voudrai toute ma vie parce que je n'ai pas anticipé le smartphone, cet outil que 98% de la population possède dans sa poche et qui te géolocalise en permanence, qui produit de lui-même toutes les données dont le pouvoir a besoin pour te manipuler. Je n'avais pas touché du doigt la possibilité d'un contrôle auto-généré. Le roman est bon sur la façon de sentir conceptuellement ce qui va venir mais la façon dont je le transcris technologiquement est foireuse. Il y a l'idée d'un contrôle horizontal, les pères contrôlant leurs filles et vice-versa dans un entre-tissage de contrôle très puissant, mais je n'avais pas compris que l'outil serait individuel et que l'on allait nous-mêmes produire le contenu qui permettrait de nous manipuler. Que même la plus-value capitaliste allait se générer par le contenu que l'on produit nous-même simplement par le seul fait de vivre, d'avoir des amis, des amants... Et ça... c'est une idée géniale qu'a eue le capitalisme mais les écrivains de SF, semble-t-il, n'ont pas vu venir ça.
Certaines de tes pages jouent avec la graphie, et un contenu extra-littéraire (site internet, DVD accompagnant le roman, jeu vidéo...). Peux-tu nous parler de ces différentes expériences et de la trans-médialité qui semble importante pour toi ?
Je le fais de plus en plus. Ça a démarré sur La Horde du Contrevent de façon fortuite. Je me suis isolé trois ans pour l'écrire et c'est seulement après que des gens sont venus me dire « j'ai envie de faire des dessins sur ce bouquin », « j'ai envie de faire une bande originale du livre », etc. Ensuite il y a eu tous ces projets de film, de jeu vidéo, etc. Au départ ça partait donc d'un livre. Par la suite, au moment où j'ai écrit le jeu vidéo Remember Me, je suis parti d'un concept de départ et dans le même mouvement on a travaillé la bible narrative en se disant qu'elle pourrait servir à différents médiums. On avait un pitch pour un BD, une série TV, un film... On créait un univers général, qui puisse se plier à différentes œuvres. Remember Me imaginait un monde où la mémoire peut être numérisée, où les souvenirs peuvent être vécus dans d'autres corps et donc achetés, vendus, échangés et remixés. La question étant : quel type de société déploierait-on à partir de ça, dans quel monde vivrait-on si ça devenait techniquement possible ? Donc il y avait un paradigme technologique qui pour moi était la technologie invasive pure : quelque chose entre et sort de ton intimité et devient visible aux yeux des autres.
Aujourd'hui j'ai quatre projets transmédia : La Horde du Contrevent, qui est un transmédia d'après coup, Remember Me – dont Capcom a malheureusement récupéré les droits, ce qui nous coince – mon prochain roman qui s'appellera Les furtifs, et enfin Fusion qui développe l'idée de Remember Me : les souvenirs sont stockés dans les molécules d'eau. Du coup les moindres liquides corporels – sang, sperme, salive – contiennent des souvenirs que tu peux décoder grâce à la technologie. Il y a un côté thriller halluciné, des idées plus poétiques lorsque la mer ou les nuages sont chargés de souvenirs. Ce matériau est conçu comme un pur univers transmédia. On va développer une série centrée autour d'un barman spécialiste en cocktails mémoriels, dans lesquels il mélange de l'alcool et différents sentiments. J'ai écrit quarante pages de scénario, on réfléchit à une BD, à des nouvelles, à un roman... Ce qui est intéressant c'est de dégager quel type d'idée est plus adaptée à tel ou tel médium. Donc plutôt que de te bloquer en te disant « cette idée est géniale mais je ne peux pas en faire un film », tu la gardes pour une série télé. Et donc on se retrouve avec de la matière : un agent de nettoyage qui se shoote aux souvenirs et vit constamment par procuration, dans une réalité qui ne lui appartient pas ; une fille qui a été violée mais dont le souvenir a été effacé, mais dont la mémoire corporelle, pour ainsi dire, réagit malgré tout... Cette matière conviendrait bien à une série TV. Pour le film, on partirait sur autre chose... Le transmédia est intéressant si tu as conscience de ce qui s'adapte à quoi, quelle est la valeur ajoutée du média. Il faut donc connaître les différents médiums. Je viens de finir une fiction radiophonique qui va passer à Bruxelles, et je me rends compte que je ne maîtrise pas du tout ça. C'est ma première et j'ai fait plein de conneries : l'économie narrative est pourrie – l'imaginaire auditif n'est pas du tout le même que l'imaginaire visuel, il y a des choses qui passeraient très bien visuellement mais qui auditivement sont difficilement compréhensibles. Prends un simple coup de fil, par exemple. Un personnage appelle. L'autre ne répond pas. Le premier laisse un message. Avec uniquement de l'audio, comment faire comprendre ces choses a priori très simples ? Ce n'est pas évident. En revanche, une fois que tu as compris, tu peux exploiter des choses propres au médium radiophonique qui sont extraordinaires. Tout ce qui relève du discours ou de poèmes déclamés, des sons futuristes, ces choses qui ne se trouvent pas dans un roman, avec un surplus d'imaginaire puisqu'il n'y a pas de support visuel.
Tes romans sont très détaillés et, contrairement aux nouvelles, laissent peu de place à l'abstraction, au non-dit. Pourquoi ?
En roman il y a un énorme temps de maturation. J'ai muri La Zone du Dehors trois ou quatre ans avant de démarrer. Pareil pour La Horde du Contrevent, j'ai passé quatre ans dans le Vercors avant de réellement commencer l'écriture en Corse. L'univers est donc très dense, je commence toujours avec un gros stock de détails. Je ne muris mes nouvelles qu'une quinzaine de jours, un mois au maximum. L'univers de la nouvelle est donc plus embryonnaire. Les nouvelles possèdent toute la matière de leur univers, donc c'est forcément plus suggestif, plus énigmatique. Et le lecteur n'est pas étouffé sous une somme de détails. C'est l'un de mes problèmes d'ailleurs, cette tendance à trop déployer les choses. La Zone du Dehors contient trop d'informations. Or il faut faire confiance à l'imaginaire du lecteur.
On rentre plus difficilement dans tes nouvelles, parce qu'on met du temps, plusieurs pages parfois, à se dégager d'un certain brouillard, le temps que les choses se dessinent plus nettement. Ce n'est pas le cas des romans, qui posent un univers au départ, dans lequel ensuite les choses se passent.
C'est vrai. Paradoxalement, le recueil de dix nouvelles est peut-être plus éprouvant à lire que les romans. Il y a un effet de brouillard plus marqué, ce qui peut perdre certains lecteurs. D'ailleurs l'ouverture des nouvelles rendrait plus facile une adaptation filmique qu'un roman déjà épais. C'est une erreur d'adapter des romans. A part Blade Runner, les meilleurs films inspirés de K. Dick sont ceux issus des nouvelles. C'est quelque chose qu'on apprend en scénarisant. Le scénario de La Horde du contrevent divise le roman par 20 ou 30, c'est très difficile. Si je partais d'une nouvelle, il y aurait un petit espace à déployer dans le film, dans une dynamique ascendante. Le roman, tu lyophilises. Le scénario adapté de La Horde... contenait cinq lignes narratives entrelacées, c'est moins que dans le roman mais c'est beaucoup trop pour un film. Et ça t'interdit un peu la suspension au profit de l'avancée permanente du récit. C'est intéressant, mais je ne le ferai plus avec l'un de mes romans. J'ai une nature extravertie, j'ai besoin que ça bourgeonne, pas d'être obligé de diminuer. La création soustractive, c'est la mode en ce moment. Mais ça ne m'intéresse pas moi, je ne suis pas Philippe Stark. J'aime bien que ça parte dans tous les sens, que ce soit végétal, que ça fasse des fleurs, des fruits... C'est une question de tempérament.
Comment travailles-tu la structure de tes romans ?
J'ai une méthode un peu spéciale, très immersive. Par exemple mon prochain projet, Les Furtifs, a vu naître sa première idée en 2004. Je n'ai écrit qu'un chapitre pour l'instant. Tu imagines le temps de maturation sur l'univers. Quand je démarre enfin j'ai toutes les données, comme si j'avais vécu dans l'univers, donc je n'ai pas besoin de plan. J'improvise totalement autour d'un fil narratif extrêmement simple. On me demande souvent comment j'organise les changements de narrateurs. Sur La Horde..., quand je me sentais en état de rage, alors je faisais du Golgoth. Quand j'étais en fin de journée, crevé, loin du monde, je faisais de l'Aoi. A des moments je me levais le matin dans des délires plus philosophiques, je faisais de l'Oroshi. Je suivais ce rythme et cette envie. J'ai divisé autant d'états intérieurs en autant de personnages. Et puis ça m'a sauvé de la folie parce que je passais trois semaines seul, c'était vraiment un mode d'écriture ascétique. Pouvoir circuler entre mes différents états et les utiliser pour chaque personnage, ça m'a sauvé.
Lorsque je possède suffisamment ces personnages en moi, je lâche mes fiches et le personnage me dicte ce que je dois faire. C'est une méthode de travail. Par exemple Stéphane Beauverger, un autre écrivain de SF, passe beaucoup de temps sur le plan et démarre ensuite. C'est personnel, mais je trouve que ça se sent dans l'écriture, qu'elle manque de spontanéité, de folie, parce qu'elle suit son plan. En quelque sorte, tu deviens fonctionnaire de ton écriture. Je préfère garder une certaine liberté.
En termes d'influences, tu cites souvent des philosophes, des auteurs qui te nourrissent sur le plan théorique. Par contre, sur le plan formel, c'est plus compliqué de dégager ce qui a pu t'interpeler.
Oui, surtout que j'ai très peu de sources d'inspirations en littérature. L'autre fois je discutais avec un étudiant qui veut faire une thèse sur La Horde... et La Zone... et qui me posait cette question. Comme je lis très peu, ça va vite. Syntaxiquement j'adore Mallarmé. Et la syntaxe, plus que le choix des mots, est centrale dans l'écriture. Si le mouvement de ta phrase est bon, l'émotion est véhiculée. En Corse je regardais souvent des ruisseaux : ça circule entre les rochers, il y a une vasque, ça tourbillonne, et puis d'un coup il y a une petite chute d'eau et puis ça accélère... Et bien en écriture c'est pareil, tu gères cet écoulement avec les virgules, avec les points, les tirets longs, la longueur des mots... Et c'est ce qui te rapproche le plus possible de la sensation. Après, je pourrais citer Antonin Artaud, Volodine en SF... Je trouve qu'en science-fiction, si tu n'es pas capable de faire monter la sensorialité de ton monde, il ne se passe rien, les personnages ne vivent pas. Dans La Horde... il y a un énorme boulot sur les sensations physiques, le vent, c'est la clé. Les cinq sens y sont d'ailleurs distribués via les personnages. Golgoth incarne la kinesthésie pure, il va traduire les sensations musculaires, de masse et de volume. Pour lui le vent, c'est une masse. Donc chaque fois que tu as Golgoth tu es sur cette sensation-là. Sov et Sylamphe sont les auditifs, Pietro est la vue, il décrit géométriquement les choses, les couleurs... Volodine m'a appris ça, l'ancrage sensuel dans un univers. J'aime beaucoup Valère Novarina aussi, un auteur de théâtre génial. Et puis bien sûr, il y a l'oulipo. Dans La Horde... il y a des exercices de style qui viennent de là. Sur les nouvelles il y a l'influence de Borges, dans la manière de partir d'un concept philosophique permettant de faire jaillir une émotion.
Les univers que tu dépeins sont très caractérisés, et certaines images restent gravées dans l'esprit : la vague d'asphalte de « So Phare Away », la rivière de pierres de La Zone du Dehors... As-tu des influences picturales ?
C'est très intéressant car on ne m'a jamais posé cette question. Je pense que oui, mais c'est assez inconscient. Je suis quelqu'un d'assez peu visuel, je n'ai pas d'image extérieure de mes personnages. Je les sens de l'intérieur seulement, ce qui peut me faire un drôle d'effet quand je vois des dessins adaptés de mes livres. Francis Bacon m'intéresse, peut-être justement parce que ses visages sont tordus, qu'ils ne sont que des lignes de force. Deleuze dit des choses magnifiques sur la tendance de Bacon à peindre non pas des formes mais des forces. Ses visages expriment des forces minuscules, la force de la fatigue sur un visage par exemple.
J'aime beaucoup la nouvelle « Annah à Travers la Harpe », relecture mélodramatique de Dante hantée par les techniques de communication actuelles qui sont vues ici comme un véritable enfer.
C'est marrant parce que cette nouvelle que j'aime beaucoup a été assez critiquée. Des gens n'ont pas aimé son côté un peu bâtard, la vision que je donne de l'enfer technologique, le techno-cocon... C'est vrai que c'est assez hétérogène, une petite épopée SF, avec une fin poétique. Pour certains ça ne passe pas.
Une nouvelle est toujours motivée par trois éléments pour moi : premièrement, je veux proposer une expérimentation narrative, le mode de narration doit amener quelque chose. « Les hydres » est ma seule nouvelle classique, écrite pour le catalogue d'exposition d'un pote qui est sculpteur. Je voulais donc quelque chose de simple. Autrement il y a toujours une tentative narrative : double ou triple narrateur, narration indirecte, à l'envers, changement de narrateur au milieu... Deuxièmement, il me faut une petite invention stylistique. « Les Haut-Parleurs », avec ces mots complètements tordus, transformés pour échapper au copyright. « Sam va mieux » », où le personnage a une machine à créer du langage. Troisièmement, j'ai envie de véhiculer un message, quelque chose qui soit un élément spéculatif de réflexion et si possible sur l'époque.
Ce que j'écris est rarement autobiographique, mais c'est le cas d' « Annah à Travers la Harpe ». J'ai tenté d'y fixer mon expérience de la paternité. Cette nouvelle révèle de ma part une volonté ancestrale de l'écriture, celle destinée à fixer les choses. On n'y pense plus aujourd'hui. Puisqu'on duplique tout, il n'y a plus d'écriture mémorielle censée fixer quelque chose. C'est très rare que j'utilise l'écriture dans ce sens-là, et c'est peut-être ce qui rend cette nouvelle spéciale pour moi.
La Horde du Contrevent s'inscrit dans le domaine de la SF, mais est également infusée par l'heroic fantasy et l'univers des jeux de rôles, quelles étaient tes influences majeures pour ce second roman ?
C'est simple, je n'ai jamais lu le moindre livre de fantasy. Je n'ai même jamais lu Le seigneur des anneaux. Par contre entre 16 et 20 ans, je jouais à des jeux de rôle. Si influence il y a, c'est donc vraiment par porosité. J'ai aussi lu énormément de BD grâce à mon père. Thorgal, Le Vagabond des Limbes, qui est mal dessiné mais scénaristiquement intéressant, Valérian, Blueberry... Mais les enjeux personnels, la quête collective, c'est clairement le jeu de rôle. Je me suis rendu compte que dans mes livres, tout était traité sur le mode de l'épreuve, y compris dans les nouvelles. Ça intéresserait un psychologue ! Mon père était très autoritaire, dans le jugement permanent. Il était entraîneur de foot et chaque fois que j'allais jouer, j'étais sur le mode de l'épreuve. Chaque match, chaque entrainement. Je me suis construit sur ce mode-là : l'école était une épreuve, tout était une épreuve, il fallait réussir l'épreuve. Du coup ce moteur affectif se retrouve dans mes livres, j'ai du mal à l'éviter.
Peux-tu nous parler de ton implication au sein de la maison d'édition La Volte et des auteurs dont elle met le travail en lumière ?
C'est une maison d'édition que j'ai cofondée avec Mathias Echenay, à la base pour publier La horde du contrevent. On est une maison d'édition très libre, familiale, qui n'a pas besoin d'être rentable. En gros à part Stéphane Beauverger et moi, les bouquins sont déficitaires, mais c'est normal, c'est l'édition. L'auteur que j'adore, c'est Léo Henry. Un auteur SF hyper inventif, drôle... Pour moi c'est le meilleur styliste actuel en France dans la SF. Un mec marrant, Alsacien, qui adore boire. Vraiment un mec cool. Après t'as Beauverger, qui est un bon auteur. Il écrit de solides trames de récits, après je suis moins fan de son style. David Calvo, qui est marseillais aussi, très créatif, un peu fou. On a de très bons auteurs, et de plus en plus transmédia. On arrive à des native transmedia, aujourd'hui. C'est naturel. Ce qui est bien, déjà parce que ça nous permet de vivre (on ne vit pas de nos bouquins), et donc d'écrire et de créer sans avoir trop pression. Et c'est un milieu très sympa, très ouvert, pas de crise d'égo, pas d'effet de ticket d'entrée. Souvent ces gens ont une très bonne culture. Si vous avez la chance de discuter avec Beauverger, vous verrez que c'est un régal. Pour l'instant il n'y a pas trop de contact avec le cinéma, à part Pierre Bordage qui a bossé avec Marc Caro et Serge Lehman avec Enki Bilal, mais la connexion littérature SF et cinéma n'a pas encore trop pris en France. Mais je suis assez optimiste, je pense que la SF est bien en place.
Concrètement, quels sont les projets sur lesquels tu travailles ?
J'ai écrit quelques nouvelles cette année. Il y a Fusion, aussi. Les furtifs, que pour l'instant je développe en projet sonore. 42 morceaux de 5 à 55mn. Je pense que ça va durer encore un an. Là je viens de finir une fiction radio pour Bruxelles. On va le faire en écoute avec 400 personnes dans une salle de ciné. Et mon roman que je suis censé avancer. Ça fait 3 ans que j'aurais dû finir, 5 ans que j'aurais dû avancer, 10 ans que j'ai eu les premières idées. Pourtant je n'ai pas d'excuse, j'ai déjà tout. Mais voilà, j'ai deux filles... Je ne peux pas partir trop longtemps, donc je ne peux pas avoir l'immersion dont j'ai besoin. Là je suis très dispersé, quand je regarde mon année j'ai fait une tonne de trucs, mais c'est trop dispersif. Je fais beaucoup de conférences, sur le transhumain je suis invité partout. Tant que ma pensée progresse ça va, mais dès que je commence à me répéter... Oubliez-moi.