Entretien avec Ed Neumeier (bonus #12)
Ed Neumeier fait partie de ces scénaristes rares mais dont les films ont eu un tel impact qu'ils font (tristement, peut-être) passer cette rareté au second plan. Pour le dire vite, l'homme est celui de deux films de Paul Verhoeven : RoboCop (1987) et Starship Troopers (1997). Champion d'une science-fiction à la fois spectaculaire et subversive, violente et touchante, l'homme est influencé par le cinéma, la littérature ou la bande-dessinée de SF. L'entretien qu'il nous a gentiment accordé a duré deux heures. L'essentiel se trouve dans le numéro 12, en grande partie consacré à Paul Verhoeven. Mais il fallait trouver de la place pour ce qui n'a pu en avoir dans la revue. A savoir tout ce qui concerne certaines influences du scénariste, les suites de ses films, ou un remake dont il nous parle sans langue de bois. Cette place, la voici.
Frank Miller a écrit les deux suites de RoboCop. Le premier Batman qu'il a écrit a été publié en 1986 et l'on y trouve les parodies de spots télévisés de RoboCop. Lequel a influencé l'autre ?
C'est une coïncidence, les spots étaient présents dès la première version du scénario. Donc avant que je ne rencontre Frank, et que je ne voie ces planches. Avant même que je ne lise le scénario de Terminator (James Cameron, 1984, ndt.) d'ailleurs, qui m'est tombé entre les mains pendant la production de RoboCop. J'ai essayé d'engager Frank Miller, par l'intermédiaire de Jon Davison, pour faire du concept work sur RoboCop, mais il ne voulait pas. Il était plutôt distant, pour tout dire. Il a cependant développé une relation avec Jon Davison. Lorsqu'il y a eu la grève et que nous ne pouvions plus écrire, Jon Davison et Orion ont fait ce qu'on appelle un « waver » afin de former une compagnie au sein de la grève, qui soit acceptable, et alors ils ont engagé Frank pour écrire RoboCop 2. Mais le scénario qu'il a écrit n'a pas été utilisé, ils ont tout recommencé à zéro et écrit ce qu'ils ont appelé RoboCop 3 (Fred Dekker, 1993, ndt.). Walon Green – qui a écrit La horde sauvage (Sam Peckinpah, 1969) – est alors arrivé et a travaillé avec Frank : ce qui a donné RoboCop 2 (Irvin Kershner, 1990, ndt.). RoboCop 3 devait initialement être réalisé par Fred Dekker et écrit par Shane Black. Shane ne l'a finalement pas fait, même s'il m'a appelé personnellement pour me dire qu'il adorait RoboCop. Ce qui ne l'a pas empêché de se montrer très bizarre par la suite avec moi. Bref, ils ont donc utilisé les idées développées par Miller pendant la grève. Ces idées ajoutées à celles de Fred Dekker (les ninjas par exemple) ont été utilisées pour RoboCop 3. Je ne l'aurais pas fait ainsi. Ils avaient besoin rapidement de films issus de la franchise car à l'époque la société était en difficulté. Jon Davison m'a dit plus tard qu'il regrettait de ne pas avoir été plus prudent, et je pense qu'il a raison ; nous aurions dû prendre notre temps et j'aurais dû écrire la suite, mais ça ne s'est pas fait ainsi. Je pense malgré tout que Frank a fait du bon travail en reprenant la franchise à son compte et en la continuant à sa façon très comics. D'ailleurs la bande dessinée récemment publiée, qui n'est pas de Frank, est aussi assez réussie. J'aime le travail de Frank, même s'il est sans doute trop constamment sombre pour moi. Il reste un auteur important. J'aime beaucoup Sin City (Frank Miller & Robert Rodriguez, 2005, ndt.), y compris le premier film, dont la paternité revient d'ailleurs davantage à Robert Rodriguez.
Quelle a été votre implication sur le remake (de José Padilha, 2014) et qu'en pensez-vous ?
Je n'ai pas réellement pris part au projet. Simplement, des membres de la Writers's Guild ont comparé le scénario du remake avec notre version et ont décidé qu'il y avait tellement de similitudes qu'ils nous ont crédité au générique. De ce fait, la MGM nous a impliqués un peu, pour nous faire plaisir. A vrai dire j'ai décidé d'utiliser cette opportunité pour rencontrer tout le monde et les interviewer de manière informelle, ce qui était plutôt marrant. J'ai donc passé du temps avec autant de personnes que possible, notamment José Padilha et le scénariste Joshua Zetumer, ainsi que le producteur Eric Newman et les gens de la MGM. J'ai donc pu avoir une idée de ce à quoi le film allait ressembler et comment il se faisait. Il y a eu diverses réactions... La bonne nouvelle est que José Padilha est un réalisateur intelligent et intéressant, il a réalisé le meilleur film possible. Cependant nous étions en désaccord, et je leur ai donné mon point de vue, sur le fait qu'ils passaient à côté de l'aspect fantasmagorique du personnage. Il y a des gens qui aimeraient être RoboCop, de nombreux petits garçons voudraient être ce personnage car vous vous mettez de son côté, vous êtes désolé pour lui et en même temps il peut vous botter le cul ! Ils ne m'ont pas compris. Par ailleurs je pense qu'ils voulaient être drôles, tout en ayant peur de l'être. Ils ne savaient pas comment s'y prendre. En termes d'imagerie, ce qui me semble le plus réussi est ce qui touche à l'horreur gothique, comme lorsque l'on voit simplement la tête et les organes vitaux de RoboCop. Ça me plait et je comprends que cela plaise aux gens aussi, c'est étrange... Cependant ça me dérange car je n'aime pas voir RoboCop en pièces détachées, je n'aime pas voir son autonomie détruite. Lorsqu'ils ont filmé ce plan où il est complètement démantelé, j'étais atterré : ils en ont fait une victime, alors qu'on veut le voir fort ! Ma véritable découverte à propos de RoboCop est qu'il est un personnage fantasmatique, et mettre l'accent sur sa souffrance et sa perte ne va pas dans ce sens. Enfin, ils ne m'ont pas demandé mon avis...
Quand on compare les deux films, on se rend compte que l'idée que le public a de certains personnages archétypaux a changé avec le temps. Cela semble particulièrement évident avec le personnage du PDG de l'OCP, qui est représenté de manière très différente d'un film à l'autre...
A l'époque je faisais systématiquement une chose qui allait à l'encontre du stéréotype habituel qui veut que le dirigeant d'une corporation soit le méchant. Pour moi, c'est toujours le numéro 2 le méchant, l'autre est une figure paternelle. Paul m'a dit un jour : « Ed, tu veux croire en un Dieu bon. » Je lui ai demandé ce qu'il voulait dire et il m'a répondu « Et bien Dick Jones est l'ange déchu mais Dieu est bon. » J'ai bien dû le reconnaître. En tout cas, j'étais plus satisfait par la perspective d'un moyen de remettre de l'ordre dans le monde. Dans RoboCop 2, ou dans le remake, je ne comprends l'envie d'intégrer dans un film cette idée que les temps ont changé et que nous sommes prêts à voir la figure paternelle déchue. La mort de l'homme d'affaire à la fin du remake n'est pas satisfaisante. C'est cool parce que c'est Michael Keaton, mais je ne sais pas, ça ne semble pas donner le sentiment que la justice est faite et que le monde est à nouveau en ordre. En ce sens, le film original s'inspire du western : RoboCop fait tourner son arme et le vieil homme lui dit : « beau tir, quel est ton nom ? » C'est bête mais c'est beaucoup plus édifiant, je pense que le propos est plus intéressant.
Parlons des suites de Starship Troopers...
Oh oh...
Starship Troopers 2 – Héros de la fédération (Phil Tippett, 2004) est moins ironique que le premier...
Oui, c'est vrai.
... et semble avoir d'autres sources d'inspiration comme John Carpenter, La mutante (Roger Donaldson, 1995)... était-ce votre idée ou bien celle des producteurs ?
Phil Tippett voulait faire un pur film d'horreur, il voulait faire Alien. Je ne suis pas vraiment fan de films d'horreur, donc je n'étais pas très excité par cette perspective, mais j'avais envie de travailler avec Phil et c'était également une opportunité de retrouver Jon Davison. Le film contient très peu d'humour. Pour une raison qui m'échappe, la structure et l'intrigue ne permettaient pas d'intégrer autant d'éléments que dans les autres films. Le ton était plus astreignant. D'une certaine manière, Phil avait peur de faire un film drôle, il craignait que cela ne fonctionne pas, donc il y avait une résistance envers la direction vers laquelle j'aurais naturellement tendu. Il y a tout de même des choses que j'aime dans le film, je trouve que la fin est amusante, et j'aime le discours que déclame le général à un moment donné. Mais à vrai dire je n'ai pas regardé le film tellement de fois.
Etait-ce un projet réalisé pour la télévision ou le marché de la vidéo ?
Le film a été fait pour 6 millions de dollars, directement pour le marché de la vidéo, à l'époque des DVD. Les suites ont été réalisées uniquement dans l'optique d'être vendues en DVD, ils avaient une franchise qu'ils pouvaient vendre et ils nous ont dit que si nous pouvions faire des films peu coûteux, alors ils les financeraient. Jon Davison voulait, qu'il soit béni pour ça, nous donner à Phil Tippett et à moi une chance de réaliser. C'était le marché, je devais aider Phil et il m'aiderait en retour, et c'est ainsi que ça a fonctionné.
Vous avez donc réalisé vous-même le troisième volet en 2008. Quelle était votre ambition pour Starship Troopers 3 – Marauder, qui semble plus proche du premier opus, notamment en ce qui concerne le thème de l'omniprésence et la corruption des médias ?
Nos commanditaires n'étaient pas très satisfaits par Starship Troopers 2 et voulaient une histoire qui se rapproche plus du premier film. J'ai proposé de faire revenir Casper Van Dien. Nous sommes donc revenus au thème des médias et dans le même temps la religion était devenue un facteur géopolitique plus important, ce qui m'intéressait. Finalement on m'a laissé tourner le scénario tel quel, pour le meilleur ou pour le pire. En terme de production, nous avions un petit peu plus d'argent que pour Starship Troopers 2, mais à peine. Nous avions une bonne équipe et tout le monde a essayé de faire le meilleur film possible. Ça a été une très bonne expérience pour moi, j'ai de nombreuses bonnes anecdotes à ce sujet. Je pense que la partie la plus réussie est la satire à propos de l'utilisation faite de la religion dans les médias. Certaines personnes, aux Etats-Unis, ont pensé que c'était un très bon film de propagande religieuse, ce qui m'a également rendu vraiment fier.
Voyez-vous un héritage des films que vous avez écrits dans ceux qui sont sortis par la suite ? Par exemple, Maniac Cop de William Lustig est sorti juste après RoboCop, et l'an passé Edge of Tomorrow de Doug Liman était clairement inspiré de Starship Troopers...
Je pense que le film le plus réussi inspiré par notre travail est District 9 (2009, ndt.). Il paraît que Neill Blonkamp a été tellement marqué par RoboCop qu'il aurait écrit son dernier film Chappie (qui sortira sur les écrans français le 4 mars 2015, ndt.) en écoutant la bande originale du film. Je pense qu'il est vraiment bon, et il me semble que vous pouvez vraiment reconnaître ED-209 dans District 9, ainsi que tout ce qui touche à la transformation du personnage principal ; RoboCop est véritablement une histoire de transformation, donc je pense que l'influence est bien réelle. Je ne connais pas Maniac Cop. Je pense effectivement que l'influence de mon travail se retrouve dans Edge of Tomorrow, où l'on retrouve d'ailleurs les armures surpuissantes. L'une des controverses à propos de Starship Troopers était due à l'absence de ces armures présentées dans le roman original, les fans du livre étaient en colère. Ils ont utilisées dans Edge of Tomorrow, si bien qu'on peut se rendre compte à quel point ce concept devient rapidement ennuyeux. J'aime bien remarquer l'influence de RoboCop dans un film, mais je ne tiens pas un registre pour autant. Personne ne me vient à l'esprit à part Neill, du coup.
Tous les films de la série lancée par Starship Troopers ont bénéficié d'une sortie en salles au Japon, tandis que le quatrième volet, que vous avez coproduit, a été réalisé par un cinéaste japonais (Starship Troopers : Invasion de Shinji Aramaki, 2012). Avez-vous une idée de pourquoi ces films ont eu tant de succès au Japon ?
Shinji Aramaki est le grand « mecha artist » au Japon, c'est un type super. J'étais très peu impliqué sur ce projet, mais j'étais heureux d'être sollicité en tant que producteur exécutif. J'ai lu le scénario mais ils ont fait ce qu'ils voulaient. Ils avaient un budget très limité. Il y a un dirigeant chez Sony nommé Tony Ishizuka, à qui revient la paternité des trois suites de Starship Troopers. Cela a été rendu possible car les films ont bénéficié d'une sortie en salles au Japon. Il a donc pu les monter en tant que produits destinés au marché local japonais tandis qu'ils étaient directement édités en DVD dans le reste du monde. J'ai une dette envers lui, car c'est grâce à lui que j'ai eu la chance de réaliser un film.
Par ailleurs, la version japonaise du roman de Robert Heinlein était également très populaire là-bas. Il y a une connexion particulière entre le Japon et ce livre, qui vient de cette idée que vous pouvez construire une machine géante très puissante, mais qui soit délicate au point de pouvoir ramasser un œuf. Lorsque j'étais interviewé à propos de Starship Troopers 3 au Japon, ils insistaient sur l'importance de cette image du Marauder ramassant un œuf. Il y a quelque chose dans la culture japonaise à propos de la machinerie, depuis les illustrations de Hajime Sorayama à la culture « mécha. » Vous savez, ED-209 était inspiré par un jouet japonais. Les Japonais ont clairement une grande influence dans la science-fiction d'aujourd'hui, à travers les mangas, et ils insistent sur les robots. A vrai dire, avoir des robots de forme humaine semble faire partie de leur esthétique, ils voudraient voir des robots interagir avec nous, nous parler... Nous essayons plutôt de construire des robots utiles, comme des gros animaux qui peuvent porter toutes sortes des choses. Nous aimerions avoir des robots qui pourraient travailler dans des environnements extrêmes comme les déchets toxiques... Mais nous n'imaginons pas tellement de robot avec une personnalité, qui peuvent nous parler. Je ne sais pas pourquoi, mais ces choses les intéressent plus que nous.
Paul Verhoeven a produit la série télé Roughnecks : The Starship Troopers Chronicles à la fin des années 90, pourquoi n'étiez-vous pas impliqué sur le projet ?
Et bien c'est une bonne question, je suis assez en colère à ce sujet. (rires) Non, c'est parce qu'il était le réalisateur et pas moi. Il a eu cette opportunité, tandis qu'à moi on n'a rien demandé. A vrai dire ils ne voulaient pas que je l'écrive, ce que je n'ai pas compris à l'époque... Quand des producteurs mettent un remake ou un projet de ce genre en chantier, en général la dernière personne qu'ils veulent impliquer sur le projet est celle qui a écrit l'original, car ils veulent pouvoir faire ce qu'ils veulent. Cependant mes enfants ont regardé la série et elle leur a plu, alors c'était cool.