Entretien avec William Sachs
William Sachs est une personnalité singulière dans le petit monde du cinéma horrifique. Il est avant tout l'homme d'un film, The Incredible Melting Man – qui sortira chez nous sous le titre Le monstre qui vient de l'espace - qu'il tourne pour quelques sous en 1977. The Incredible Melting Man, malgré ses imperfections, reste aujourd'hui un des fleurons du cinéma indépendant new-yorkais des seventies, un film aussi décontracté, gore, qu'attachant. Après The Incredible Melting Man Sachs a tourné le tout aussi peu sérieux Galaxina (1980), ainsi que, plus récemment, un Spooky House (2002) des plus farfelus. Nous avons choisi de nous concentrer, dans l'entretien qui suit, sur les délicieuses aventures d'un homme qui dégouline, un audacieux astronaute qui revient sur terre non comme héros, mais comme paria.
Bonjour William, et merci d'accepter de parler de The Incredible Melting Man. Pouvez-vous dire quelques mots sur la manière dont vous êtes devenu réalisateur ?
En fait, j'écris depuis que je suis gamin. Mon père était photographe et aimait beaucoup le cinéma, je suis donc allé à la London Film School, où j'ai fait trois courts-métrages en un an. L'un d'entre eux a gagné pas mal de prix, d'ailleurs, il est maintenant dans les archives du British Film Institute.
Votre film est de manière évidente un commentaire sur la contre-culture, quelle était votre position face aux événements de la fin des années soixante ?
C'est vrai que j'étais en plein dedans... J'ai fait un film pour les Pink Floyd, en utilisant de la pellicule et en la peignant directement. J'étais à Londres au début des années soixante, à San Francisco à la fin de la décennie, et je faisais partie d'un groupe "artsie" : pas vraiment politique, mais impliqué... mon premier film était sur un vétéran, qui vivait dans un hopital devenu son seul univers... une comédie noire – pas la couleur de peau, le style. Les deux villes étaient très stimulantes, bien plus créatives que maintenant, en particulier pour un réalisateur.
Justement, dans les années soixante-dix, vous êtes devenu une sorte de pompier-réalisateur. Vous avez fait un boulot bien particulier sur des films comme Joe (1970) ou Exterminator 2 (1984), en bricolant ce qui pouvait l'être pour rendre les films diffusables. Vous pourriez nous en dire plus ?
En fait, sur le premier film j'étais assistant monteur, jusqu'au moment où le réalisateur s'est fait viré car il était trop nul. On m'a demandé ce que je pouvais faire des images, j'ai fait de mon mieux, et d'un coup on m'a nommé réalisateur ! Le pire, c'est qu'ensuite, les mêmes producteurs m'ont demandé d'en faire de même sur d'autres films qui avaient eu des problèmes, j'ai dû en faire 25, sans toujours mettre mon nom au générique. Certains sont devenus des classiques, comme Leprechaun. Quand je regarde un film, je sais instinctivement ce dont il a besoin. Généralement les défauts proviennent d'un manque de préparation du réalisateur, ou d'une hésitation.
En ce qui concerne The Incredible Melting Man, il semble y avoir une référence évidente au titre de L'homme qui rétrecissait, mais le film renvoit aussi à d'autres films de drive-ins, non ?
Un jour, ma mère est revenue à la maison avec un pot de gelée, et m'a dit que je devrais faire un film sur ce truc.... Tout est parti de là !
Votre manière d'aborder le genre est très relaxée, presque camp, très loin des tendances adultes... Pour vous, le cinéma est-il un moyen de revenir à l'enfance ?
Oui, pour moi l'horreur et la science-fiction c'est d'abord les années cinquante, le fun, les histoires idiotes, avec des choses qui dégoulinent, un univers sanglant et très, très visuel. C'est ce que je cherchais à faire avec film.
Vous étiez proche d'autres réalisateurs, quand vous avez fait The Incredible Melting Man ?
Pas vraiment, mon seul pote dans le milieu était Jeff Lieberman, c'est toujours le cas d'ailleurs.
J'imagine que le film fut un sacré challenge au niveau des effets spéciaux, mais vous avez eu la chance de travailler avec un encore très jeune Rick Baker. Comment s'est passée votre collaboration ?
Nous avons parlé de ce que je voulais, j'avais des idées très arrêtées sur le design du monstre. L'idée principale, c'était d'arriver à rendre l'effet de la saloperie gélatineuse que ma mère m'avait ramené. En gros, il fallait évoquer l'anatomie humaine, perdue sous des couches de matière visqueuse.
Sur le plan pratique, vous avez eu des problèmes à mettre au point le maquillage ?
La femme de Rick était chez elle et passait sa journée à mixer la matière qui nous servait de texture pour le costume, on en passait énormèment, on était constamment en manque. Il fallait que le truc soit assez lourd, pour qu'il brille... On a loué un truck pour pouvoir le transporter, c'était dingue. L'acteur, Alex Rebar, n'y voyait absolument rien pendant qu'il jouait. Dans une scène, vers la fin, il se pète la gueule. Ce n'était pas prévu, c'était juste réel.
Rick Baker a travaillé avec votre ami Jeff Lieberman deux ans plus tard d'ailleurs, sur La nuit des vers géants, dans lequel il massacre aussi le visage d'un jeune homme. Vous y êtes pour quelque-chose ?
Non, pas du tout, par contre ma femme joue dans ce film, en tant que figurante... Non, en fait c'est dans Blue Sunshine ! Ma mémoire est pleine de trous.
Vous êtes assez ambivalent avec votre héros, non ? Il perd sa personnalité à mesure que le film progresse... Comme s'il était impossible pour vous d'envisager de conserver une figure héroïque, avec l'avénement des seventies.
Je ne le voyais absolument pas comme un héros. Il fallait que le personnage principal de mon film soit une victime. Je pense qu'il est possible de voir apparaitre des héros, n'importe quand, dans n'importe quel contexte, mais il y a aussi beaucoup de gens normaux. C'est la nature humaine.
Même s'il devient violent, Steve continue de se souvenir de son passé, vous utilisez une voix off et des flashes de son accident. En quelques sortes, c'est lui aussi un vétéran, traumatisé par son expérience au front, non ?
Le film est différent de ce que j'avais l'intention de faire. Je me suis battu avec les producteurs, qui voulaient que le résultat soit sérieux, alors que je voulais une comédie. Ils ont rajouté un paquet de trucs, dont le début et tout ce qui est en rapport avec Saturne. Ca ne me plait pas, le jeu des acteurs est médiocre, les maquillages foireux, et ça a changé le film, mais j'ai fait ce que j'ai pu pour en tirer quelque-chose d'intéressant.
L'image du visage que l'on jette à la rivière est excellente, aussi puissante que marrante...
Oui, sa présence était nécessaire, je le sentais de façon viscérale. Je bosse comme ça, sans plan pré-établi : généralement j'ai le début et la fin du film, et quelques images entre les deux. J'essaie de ne pas trop réfléchir pendant l'écriture, je fais confiance à mon subconscient. C'est comme ça que j'essaie de faire travailler les acteurs également. Je structure le scénario durant les réécritures, mais je ne veux jamais limiter les idées qui sont apparues dans le premier jet... Au fait, le visage est celui de mon producteur, Sam Gelfman !
Quand elle parle à sa mère, la petite fille explique qu'elle a rencontré Frankenstein... ce qui n'est pas spécialement surprenant, puisque votre film évoque régulièrement celui de James Whale.
Oui, c'est un monstre de Frankenstein moderne, ses créateurs sont les scientifiques responsables du programme spatial. Mon film est sur la vieillesse, le fait de pourrir. Quand j'étais plus jeune, j'ai écris un poème sur un jeune garçon qui pense avoir vu Superman. Quand sa mère lui dit que Superman n'explique pas, il se demande ce qu'il a bien pu voir, dans ce cas. J'ai adapté l'idée pour les besoins du film.
La musique du film est très nostalgique, comme si elle provenait directement d'un film de monstre perdu, non ?
Oui, l'idée était de donner l'impression que le film était une réactualisation du cinéma horrifique des années cinquante, la musique va donc dans ce sens. La nostalgie était plannifiée.
Le budget était très bas, et le tournage n'a duré que deux semaines. Vous auriez fait quel film, avec deux fois ce temps et dix fois cet argent ?
J'aurais fait en sorte de ne pas travailler jour et nuit ! Le directeur de la photographie, qui était français, était super mais travaillait très lentement – son nom au générique n'est qu'un pseudo, d'ailleurs. Nous avons passé trop de temps à attendre qu'il soit prêt... du coup, dans pas mal de scènes, on a tourné à l'arrache, car nous étions super en retard.
Il y a une scène géniale, dans laquelle un scientifique cherche Steve, seul dans les bois, et trouve soudainement une oreille dégoulinant de chair liquide, dans un pin. Des années plus tard, David Lynch a tourné une scène assez proche, dans l'ouverture de son Blue Velvet. Comment avez-vous eu cette idée ?
C'est juste apparu dans ma tête, ça provient directement de mon subconscient, comme la jambe de dinde, et la scène dans la poubelle à la fin du film... C'était des images essentielles, que je voulais dans mon film.
La scène avec la jeune fille et le photographe est un jeu sur la mysoginie du regard du spectateur de film d'horreur, non ?
Oui, mais je pensais que personne ne s'en rendrait compte!
J'aime beaucoup la fin du film, qui est très belle, comment l'avez-vous pensée ?
Merci, c'était un passage important pour moi, sur les gens qui prennent les choses trop au sérieux. C'était un point de vue sur les pseudo-intellectuels, mais aussi sur mon propre film, enfin je crois... en tout cas ça me tenait à coeur, et ça devait ajouter au côté comic book de l'entreprise.
Le design du Toxic Avenger de la Troma est proche de votre homme dégoulinant, non ?
Oui, je pense que Lloyd s'est inspiré de mon film, je le connais bien. Je lui ai donné son premier boulot chez la Cannon, à New-York. Il a sans doute fait ça comme un clin d'oeil, pour rigoler.
Pourquoi n'avez-vous pas tourné d'autres films d'horreur ?
Quand j'ai fini un film, je veux passer à quelque-chose de complètement différent. Par contre, ces temps-ci, j'ai travaillé sur un scénario de film d'horreur avec ma femme, j'espère qu'il pourra se tourner.
Que pensez-vous de l'évolution du cinéma horrifique ?
Je n'aime pas les slashers, ni les torture porns, ça ne me plait pas du tout. Je préfère les films comme Le sixième sens ou Conjuring: les dossiers Warren. Mon dernier script est un peu dans ce style.
Merci beaucoup, William.
Merci à vous, c'est toujours un plaisir de parler de mes vieux délires !