Musiciens polyvalents, les frères Alex et Willie Cortés ont formé le groupe Seppuku Paradigm en 2006. Arrivés dans le cinéma par un concours de circonstances, ils ont composé coup sur coup les bande originales de deux des films les plus marquants de la vague fantastique française des années 2000 : l'injustement sous-estimé Eden Log (Franck Vestiel, 2007) et le traumatisant Martyrs (Pascal Laugier, 2008). Depuis, les deux frères ont participé à plusieurs projets de courts et longs métrages. Si Willie se concentre aujourd'hui principalement sur la composition d'albums rock et le live, Alex a décidé de se consacrer pleinement à la composition de musique de films. Ce qui ne veut pas dire que leur collaboration s'arrête là, bien au contraire. Sous le nom Seppuku Paradigm ou pas, les deux frères collaborent toujours très régulièrement et partagent un studio dans le 20e arrondissement de Paris. En attendant que l'un des nombreux projets sur lesquels ils sont impliqués voit enfin le jour, rencontre avec l'éminement sympathique Alex Cortés pour un entretien plutôt informel et plutôt passionnant, où il sera bien évidemment question du travail sur les films précités, de musique et de projets en tous genres. Magnéto !

 

Bonjour Alex, peux-tu commencer par nous présenter Seppuku Paradigm ainsi que votre travail ?

Seppuku Paradigm est un groupe composé de mon frère Willie et de moi-même. Nous avons démarré en 2006, à la base nous faisions uniquement de la musique d’album. A l’époque mon frère était signé chez EMI, il avait un projet solo et moi j’étais dans un collectif électro à Londres. C’est assez logique de bosser tous les deux en fait, donc nous avons démarré ce projet et c’est complètement par hasard que nous nous sommes retrouvés impliqués dans le cinéma. Nous étions hébergés par une production de hip hop avec laquelle nous collaborions sur des projets, et le film Scorpion (réalisé par Julien Seri en 2007, NDLR) est arrivé. On a composé trois titres pour la bande originiale, c’était vraiment de la musique d’album, avec beaucoup de voix, des instrumentales de 3 minutes. C’est comme ça que nous avons démarré dans le cinéma, mais à la base c’était un projet entre frères. On a fait un EP de 6 titres qui est sortit en 2007, à la base c’est ça Seppuku.

Comment en êtes-vous arrivés à collaborer sur Eden Log ?

Le mec du studio qui nous hébergeait a coproduit la B.O. de Scorpion. Pas le score, il y avait une B.O. hip hop à côté qui est sortie dans les bacs. Il avait besoin de titres plus rock pour compléter l’album, et donc nous avons composé ces morceaux. Le producteur de Scorpion a enchaîné tout de suite après avec Eden Log, il cherchait des musiciens et comme nous nous étions très bien entendu avec lui, il nous a mis sur le coup. Nous avons donc fait Eden Log avec Franck Vestiel, avec qui ça s’est super bien passé, et qui est en fait super pote avec Pascal Laugier, qui travaillait sur Martyrs en parallèle. Ainsi, quand nous avons terminé Eden Log, nous avons enchaîné directement sur Martyrs. Ca s’est donc passé comme ça, par connections, mais c’est vraiment par hasard, je crois qu’on s’est retrouvé au bon endroit au bon moment. Pour moi c’est vraiment devenu une passion mais à la base c’était plutôt une opportunité.

Le nom de votre groupe fait référence à la pratique du suicide rituel au Japon, peux-tu nous en dire plus sur l’origine de ce nom ?

Et bien écoute… à cette période-là il y avait pas mal de groupes qui avaient des noms assez compliqués. Le seppuku fait référence au suicide japonais, et le paradigme c’est une idée à suivre. C’était assez noir, au niveau des textes, de la musique qu’on faisait à l’époque. C’était un peu ça l’idée, de comparer ça avec la société actuelle dans laquelle on va droit dans le mur, mais on y va quand même. A la base c’était le titre d’une chanson que nous avions composé pour le groupe, et puis ça nous a plût et on a décidé de le garder comme nom.

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Votre musique est un mélange complexe d’orchestration et de sonorités électroniques, avec également de fortes influences rock. Comment procédez-vous pour composer, quelle est votre approche ?

En fait on est vraiment des fans de musique dans sa globalité, c’est-à-dire qu’on est pas forcément connotés dans un style particulier, on aime bien vraiment tout, on écoute de tout. Ce qui fait que notre musique est un mélange de beaucoup de choses différentes. Au niveau de la création, c’est vraiment comme ça vient, il n’y a jamais deux B.O. qui se ressemblent. On essaye vraiment de travailler en fonction des images, il y a beaucoup d’expérimentations. Après, on a quand même la chance de jouer tous les deux de pas mal d’instruments, donc le but du jeu c’est aussi ça : de faire avec ce qu’on a sous la main. Sur nos premiers films, comme ce sont de petits films, on n’a pas le budget pour faire intervenir d’autres musiciens, donc on s’appuie sur ce qu’on sait faire. En l’occurrence beaucoup d’instruments : batterie, basse, guitare… On fait en fonction de ce qu’on nous permet d’utiliser. Sur Eden Log, Franck voulait une musique qui soit très intemporelle. Souvent, tout ce qui est à base de boites à rythmes, c’est très ancré dans une époque. Au moment de la réalisation du film, les rythmiques eighties étaient très à la mode. Franck ne voulait pas que la musique soit ancrée dans une époque, que dans dix ans en la réécoutant tu l’associes à un courant en particulier, à la mode d'un moment. Donc nous devions nous débrouiller en fonction de cette consigne.

Comment se déroule le travail de composition pour le cinéma ? Composez-vous en fonction des images, d’un pré-montage ? Est-ce la même chose sur chaque projet ?

Ca dépend des projets. Sur Scorpion nous n’avons pas travaillé à l’image. Nous avons composé une musique et ils l’ont placé. Sur Eden Log nous avons vraiment travaillé en amont, ce qui est très rare dans le milieu, en tout cas sur ce type de budget, pour des questions de temps. Nous étions sur le projet depuis la deuxième version du script, donc nous avons eu le temps de préparer des textures et des idées, même si au final nous n'avons pratiquement rien gardé à la fin et qu’on a tout refait à l’image. Sur les autres films par contre, nous sommes toujours arrivés sur le projet quand le montage était déjà quasi-fini. On nous passait une copie du montage et on bossait directement à l’image. En général tu fais ce qu’on appelle un « spotting » en présence du réalisateur : c’est-à-dire que tu regardes le film et tu détermines à quel moment il faut de la musique et quelles émotions elle doit dégager. Il faut déterminer une espèce de petite virgule, de synchronisation au niveau du son et de l’image qui va exprimer certaines choses. Ensuite c’est vraiment de l’expérimentation, tu vas faire des propositions, essayer de surprendre le réalisateur en fonction de ce sur quoi vous vous êtes mis d’accord... Des fois c’est assez surprenant, ça donne quelque chose de vraiment cool. Après c’est vraiment au feeling : tu regardes le film une fois, tu prends des notes et puis tu commences à composer. Tu composes des thèmes et puis ensuite tu les adaptes à l’image. Généralement c’est comme ça que ça se passe.

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On sent dans votre musique des influences très diverses, peux-tu nous dire quelles sont vos principales références/influences en matière de compositeurs de musique de films ? Et de musique en général ?

On écoute pas mal de musique donc c’est assez difficile de pointer un artiste. Pour la musique de films en revanche c’est beaucoup plus simple. On est assez fans de compositeurs du style de Jerry Goldsmith, vraiment l’ancienne école. En fait, ce n’est pas tellement une question de style, c'est plutôt qu'à l’époque, ils ne tournaient pas les films de la même manière, la musique était beaucoup plus présente. C’était un peu moins visuel, il y avait beaucoup moins de sound design, donc la musique avait un rôle qui était beaucoup plus important. Du coup, au niveau de la composition, les consoles sont plus fortes, c’est ça qui nous plait beaucoup dans ce style de musique assez old school… Ca peut être John Williams, Morricone, ce genre de choses. Après dans les compositeurs plus actuels, il y a Jeff Grace qui a fait la B.O. de La dernière piste (Kelly Reichardt, 2010, NDLR). C’est assez organique, il y a beaucoup de choses qui se répètent, c’est comme une espèce de ritournelle. Evidemment il y a aussi Cliff Martinez, qui a une approche hyper moderne du score. Pour ce qui est des musiques d’album, de mon côté je suis assez largué depuis que je suis entré dans le ciné car je n’écoute plus que des bandes originales, de par mon travail… Je sais que mon frère aime beaucoup les groupes du style Metronomy, ce genre de choses. C’est vraiment très très large au niveau musique, cela dépend également des périodes.

Sur la B.O. d'Eden Log, il y un morceau, Swamp, dont la rythmique rappelle très fortement le Kenji Kawai de Ghost in the Shell. Etait-ce une référence volontaire ?

Ce n’était pas volontaire. Pour Eden Log, Franck Vestiel était très inspiré par la bande dessinée, et c’est vrai que c’est une B.O. qu’on a vraiment beaucoup apprécié. On a vu pas mal d’animés japonais début 2000, je suis vraiment hyper fan de manga et c’est vrai que c’est une B.O. qui m’a bien marqué. Après je ne connais pas forcément toute sa filmographie, mais il y quelques B.O. comme ça qui sont vraiment mortelles. Inconsciemment, c’est clair, et avec en plus ce côté minimaliste…

Under the Skin est un film sorti récemment dans lequel la musique joue un rôle très important. Tu l’as vu ?

Oui, j’ai trouvé le film mortel ! La musique est discrète et en même temps hyper importante dans le sens où elle contribue à 50% au film. C’est le genre de projet qui me plaît beaucoup, j’adorerais travailler sur un projet comme ça. Ca reste abordable mais quand même, c’est une proposition de cinéma qui est assez culottée je trouve.

Pour en revenir plus spécifiquement à Eden Log. J’avais découvert ce film il y a quelques années sur un laptop, au casque. Le travail sur le son, et de la musique, y est incroyable. La scène qui à l’époque m’a véritablement poussé à faire des recherches sur votre groupe est celle qui se déroule dans l’ascenseur. Il y a une montée d’une intensité incroyable dans cette séquence, la musique et les images sont complètement raccords. Peux-tu me parler plus spécifiquement du travail de composition pour cette scène ?

En fait, sur ce film, ils n’ont utilisé aucune musique temporaire, donc ça a vraiment été une collaboration créative. Il y a un montage qui a été fait avec les rushes, nous nous sommes mis d’accord sur les intentions que la musique devait apporter et nous avons fait des propositions. Ca s’est passé en plusieurs étapes : nous apportions un début de musique et puis ils affinaient le montage… Si tu regardes cette scène, tu as des tâches d’images. C’est très doux et de temps en temps il y a des flashs d’images très violentes, de viol presque. Au départ la proposition que l’on avait faite s’inspirait de ces images en distorsion. Cela donnait quelque chose d’assez original, dans l’esprit des sorties du label anglais Warp Records. Mais on ne l’a pas gardé car ça faisait un peu trop clip. Du coup, nous avons gardé l’idée de ce morceau qui grimpe, mais ça s’est fait plutôt au niveau du sound design. Pour Eden Log, on a trouvé une façon à nous de bosser, en collaboration avec Franck Vestiel, qui fonctionnait plutôt pas mal. Après tu n’as pas forcément toujours le temps de le faire, car ça prend vraiment beaucoup de temps.

Etiez-vous contents du résultat ?

Oui, après c’est difficile d’être objectif, je ne peux pas me permettre de juger puisque nous avons travaillé dessus. Mais dans l’ensemble c’est tout le projet qui fait que c’est vraiment un bon souvenir : la création, les gens que nous avons rencontré… Après le film n’est pas parfait. Au niveau du son, je trouve la B.O. plutôt cool, mais je pense que si nous l’avions refait aujourd’hui, il y a des choses que nous n’aurions pas fait exactement pareil. Mais dans l’ensemble je pense que nous sommes assez content du résultat.

A ce jour, Franck Vestiel n’a pas réalisé d’autre long-métrage. Es-tu en contact avec lui, connais-tu ses projets ?

Oui, c’est un ami. Nous ne sommes pas très proches mais on s’appelle de temps en temps, on prend un café… Il prépare quelque chose en ce moment, c’est ce que j’ai cru comprendre. On s’était vu une ou deux fois à l’occasion desquelles il nous avait parlé de son nouveau projet, mais c’est toujours très vague.

Il était question d’un projet avec Lucky McKee…

Je ne sais pas… Il y avait deux projets sur lesquels il travaillait. C’était des films beaucoup plus ouverts (qu’Eden Log, NDLR) ; avec plus de personnages, dans des espaces plus ouverts… Mais ce sont des projets qui sont très longs à monter parce que Franck ne fait pas de concessions, il veut faire ses longs-métrages comme il l'entend.

Il aurait probablement pu partir aux Etats-Unis comme beaucoup de réalisateurs français de genre qui ont percé à l’époque, mais cela ne semble pas l’intéresser.

Clairement. En France, au moment où il a fait Eden Log, il avait plein d’opportunités pour faire de la télé, des séries… Il a refusé pour pouvoir faire son film. Donc je pense qu’il s'en moque, à moins qu’il ait l’opportunité de faire quelque chose qui lui plaise vraiment. Un vrai reboot par exemple, comme celui qu’avait proposé Pascal Laugier pour Hellraiser, qui finalement ne s’est pas fait.

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Revenons justement sur Martyrs. Comment s’est déroulée la collaboration avec Pascal Laugier ?

C’était complètement différent de la collaboration avec Franck Vestiel. En fait nous avons remplacé une autre musicienne qui au départ devait signer la B.O., mais ça n’a pas du tout fonctionné avec Pascal Laugier. De fait nous sommes arrivés très tard sur le projet, ils avaient déjà pratiquement terminé le montage du film. Au niveau du style, c’était vraiment différent de ce qu’on nous a demandé pour Eden Log. Pascal voulait un score type seventies. Pas forcément au niveau du son en lui-même, mais au niveau de la manière de scorer le film. Nous on ne connaissait pas ou très peu. On a donc essayé de se rappeler de ce que pouvait nous évoquer cette musique. Je suis né dans les années 70 donc j’ai quand même vu pas mal de films de cette époque. Pascal est musicien, c’est un gars qui aime bien la mélodie, mais il aime avoir des choses qui ne se répètent pas, vraiment des musiques avec un début, un développement et une fin… Il recherche une thématique, mais ce n’est donc pas du tout une musique moderne, évolutive, qui tourne, se répère… Il voulait également quelque chose qui soit très doux, en contrepoint au film qui est quand même très violent. Au niveau du style, on a essayé de mélanger différentes approches. Il y a une partie qui est très électronique, puis il y a une cassure au milieu, puis une autre partie qui est très acoustique, quand même assez orchestrale. Donc dans l’ensemble ça a été un gros travail de recherche, puis ensuite on lui faisait écouter pour voir s’il y avait quelque chose qui l’intéressait là-dedans. On lui a fait beaucoup de propositions, mais ça a été assez rapide. Il y avait également une partie du film sur laquelle il n’y avait pas du tout de musique temporaire. En fait au début il ne voulait pas nous faire écouter les musiques temporaires, mais c’est quand même bien de pouvoir au moins les écouter une fois, car c’est plus parlant que des mots… c’est beaucoup plus facile de dialoguer par musique interposée. Il y avait donc des passages où il n’y avait pas du tout de musique, ou il n’avait pas du tout idée de ce qu’il fallait. Ce sont des parties qui ont été assez compliquées, parce que nous n’avions aucun modèle. Notamment le passage où il y a une grosse musique de sept minutes, lorsque l’héroïne libère la suppliciée, c’est d’ailleurs le dernier morceau que nous avons livré. C’est une musique qui fait très giallo, pour laquelle nous nous sommes inspirés de plein de choses, Morricone et d'autres… Un autre moment qui a été compliqué est celui où Lucie se lacère les bras (avant qu’elle ne se tue), là encore Pascal n’avait aucune idée de l’intention, c’est ça qui est le plus difficile. Voilà, ça a duré environs quatre mois : un mois de recherches, un mois de travail à l’image, puis le dernier mois de mixage et de retouches. Nous avons du retoucher la scène de la suppliciée, et une petit retouche sur la fin.

Que penses-tu de la réception mitigée réservée au film ?

Pascal savait que la réception serait partagée. En général soit tu aime, soit tu déteste. C’est quand même un film qui a été assez bien reçu car c’est un objet qui est bien fait, même ceux qui n’aiment pas le film doivent reconnaître qu'il est honnête. C’est difficile d’en parler car ça a été très dur, beaucoup de travail, donc nous étions très soulagés de l’avoir terminé et assez contents du résultat.  Ensuite, comme je le disais pour Eden Log, ce n’est pas à nous d’en juger. Personnellement ça me fait plaisir de savoir que des gens ont adoré le film, et puis surtout il a gagné deux ou trois prix au festival de Sitges, et les juges ont dit à Pascal que la musique avait joué un rôle très important dans leur choix, donc bien sûr ça fait hyper plaisir. On a pas eu beaucoup de commentaires négatifs sur la musique (on en a eu quand même deux ou trois). En fait, soit les gens l'aimaient, soit ils ne l’entendaient pas ; ce qui est plutôt bien puisqu’on dit qu’un bon score, c’est celui que tu n’entends pas, qui ne te sort pas de l’image. Cela dit moi je pense plutôt l’inverse en fait !

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Martyrs est un film de design sonore, la musique accompagne vraiment la narration, par moment elle vient complètement assommer le spectateur…

Lorsqu’on travaille sur un film d’horreur, il y a forcément des moments où ça doit faire peur, et c’est quelque chose d’assez difficile. J’adore le faire. Pascal nous disait : « Tu sais il faut imaginer quelqu’un qui te pose une main glaciale sur l’épaule. » C’est assez technique en fait, il faut trouver le coup, savoir où placer les choses. Au niveau du son, on a gardé quelque chose d’assez naturel, on en a pas rajouté dans les basses comme ce qu’on peut entendre dans de nombreux films actuels. Nous avons plutôt joué sur les dynamiques, essayé de prévoir au maximum au moment de la composition ce que ça donnerait une fois mixé dans le film. On n’a pas trop touché ensuite au moment du mixage du film, de façon a ce que ça s’associe bien au sound design, qui est lui-même très minime. C’est vraiment la musique qui fait bondir, ce ne sont pas des effets de sound design. C’est ça qui est très à l’ancienne. Il y a un film qui est comme ça et que j’avais trouvé génial, c’est Insidious (James Wan, 2010, musique de Joseph Bishara, NDLR). Au niveau de l’intention, c’est vraiment old school. Sinon, après avoir écouté la B.O. de Martyrs beaucoup de gens nous ont parlé des Goblins mais à vrai dire nous ne connaissions pas du tout à l’époque. Je pense que c’est aussi parce que ces gars-là, c’était un groupe à la base, avec pas mal d’instruments. Il y a quelque musiques comme ça dans Martyrs, qui sont entre-deux…

Martyrs a eu un retentissement important à l’étranger, notamment en Amérique du nord. Il est passé dans de nombreux festivals, n’avez-vous pas bénéficié de ce succès d’estime ? Avez-vous eu des offres suite à la diffusion du film à travers le monde ?

Oui, grâce à ce film nous avons eu un peu de boulot. Mais après pour ce qui est des offres de musiques aux Etats-Unis, ils ont déjà tout ce qu’il faut en termes de compositeurs. En fait les français qui travaillent là-bas sont déjà très connus en général. Et puis c’est très compliqué car en France il y a la SACEM, qui n’existe pas chez eux et pose donc un certain nombre de problèmes. Après Martyrs nous avons été approchés par des gens d’Ubisoft Montréal pour faire la bande-annonce officielle du jeu vidéo Far Cry 2, et ça a été problématique au niveau des droits et des contrats car ils n’ont pas du tout le même fonctionnement qu’en France, où nous devons déclarer nos musiques à la SACEM. Eux en fait ils rachètent les musiques, donc pour travailler là-bas c’est assez complexe. Mais bon, certains le font très bien, comme Alexandre Desplat.

Vous avez ensuite enchaîné avec Les nuits rouges du bourreau de jade (Julien Carbon & Laurent Courtiaud, 2010), peux-tu m’en dire plus sur ce projet et son développement ?

Il s’est écoulé environs un an entre Martyrs et ce film. Une fois de plus nous avons remplacé un compositeur. Au niveau du style visuel, c’est très différent. Martyrs est un film très analogique, là c’est une imagerie qui est beaucoup plus léchée. Cependant, au niveau de la musique, il y a un lien stylistique avec Martyrs, avec une inspiration des années 70 ; avec cependant une approche hyper moderne. En fait ce sont des connaissances de Pascal Laugier qui bossaient sur ce film, des mecs qui habitent à Hong Kong et qui sont fans du cinéma hongkongais. Le film est un hybride entre le cinéma asiatique et le cinéma européen. Il y a deux personnages très forts dans le film : une chinoise et une française qui représentent des emblèmes, assez iconiques et très classes. Au niveau de la musique, l’idée était d’avoir deux thèmes forts. Nous avons composé beaucoup de musique, environs 50 minutes, pour couper ensuite. Nous avons composé à l’image, mis de la musique un peu partout (selon les souhaits des réalisateurs) pour ensuite épurer au moment du mixage, enlever ce qui nous semblait superflu. C’est un type de projet, assez limité au niveau du budget, sur lequel tout le monde travaille en même temps donc c’est difficile de savoir ce que ça va donner à l’image avant le moment du mixage. Leur façon de travailler, c’est un peu comme sur Martyrs, c’est-à-dire qu’on a d’abord écrit un thème principal, qui est le morceau qui nous a fait être engagés pour le projet. Nous avons fait un essai sur une séquence, qui représentait un des personnages. Là où ça a été beaucoup plus dur c’est pour le second personnage du film, qui est en fait le personnage principal (la chinoise)… Nous avons trouvé le thème pour ce personnage à quatre semaines du mix environs, nous avions fait une grosse partie du score mais il nous manquait cette musique. A partir de là nous avons pu agrémenter un peu toutes les scènes. Après c’est toujours un peu pareil, tu fait d’abord un spotting en regardant les images, puis tu fais des propositions. C’était très différent de Pascal qui lui sait vraiment ce qu’il veut, où il veut les choses. Les réalisateurs des Nuits rouges… ne savaient pas trop... ce sont deux gars qui sont très discrets, pas timides mais ils ne t’imposent rien donc c’était vraiment à nous de proposer des choses. On a vraiment gardé l’essentiel.

Depuis, vous avez plutôt composé pour des courts-métrages…

On a fait deux courts. Depuis quelque temps je travaille aussi tout seul, et j’en ai fait d’autres également. Le premier court que nous avons fait, c’était un film canadien qui s’appelle De l’autre côté. Ce sont deux gars de chez Ubisoft avec qui on a bossé et avec qui on s’est vraiment bien entendu, et qui du coup nous ont proposé leur court. Nous avons dit oui car leur film était plutôt bien et qu’ils sont vraiment sympa. Le deuxième c’est un film de Julien Mokrani, que nous avons rencontré un peu après Les nuits rouges… Il avait fait un court, un fan film qui s’appelait Batman: Ashes to Ashes (co-réalisé avec Samuel Bodin, NDLR). En fait celui qui nous a montré ce film c’est Sébastien Prangère, le monteur de Martyrs (et des Nuits rouges, NDLR), il a également fait pas mal de films américains, notamment ceux de Christophe Gans… On avait trouvé ça hallucinant au regard du budget. Du coup on lui avait dit : « Ecoute si tu as un besoin d’un coup de main, viens nous voir un jour. » Il est venu nous voir deux ans après en nous disant « voilà j’ai ce projet-là » (Welcome to Hoxford: The Fan Film, 2011, NDLR), mais on ne savait pas du tout ce que ça allait donner. En fait il y a énormément de gens qui se sont greffés au projet et c’était assez intéressant à faire, notamment car il y a beaucoup de CGI est c’est vraiment une autre façon de travailler.

Ensuite il y a des projets de longs qui arrivent mais c’est toujours assez compliqué. Seppuku c’est de la musique de film qui est assez atypique donc ce n’est pas facile à placer. Ensuite on a fait beaucoup de film de genre, en France il y en a peu et en général c’est pour ça qu’on nous appelle. Après il y a les collaborations avec Franck Vestiel et Pascal Laugier, on va continuer. Mais des projets comme les leurs mettent longtemps à se monter, il y en aura d’autres mais je ne peux pas trop en parler pour l’instant. Après, puisque je travaille également en solo, il y a un film sur lequel j’ai commencé à travailler et qui devrait arriver à la rentrée, on en parlera en temps voulu… Par ailleurs, nous avons fait des essais pour des gros films aussi. Il y a Mathieu Kassovitz qui nous a appelé une fois, à l’époque de L’ordre et la morale. Il nous a présenté son projet et nous a dit qu’il avait beaucoup aimé le score que nous avions fait pour Eden Log, qui correspondait à ce qu’il voulait mais avec plus d’émotions. On a fait les essais mais bon après, il a choisi Klaus Badelt qui est le bras droit de Hans Zimmer, donc ça reste vraiment un niveau au-dessus… Cela dit, c’est quand même cool qu’il nous ai appelé et qu’il ai apprécié notre travail. Ca reste compliqué de faire des gros films. On a également fait des essais pour Le guetteur, avec Daniel Auteuil (de Michele Placido NDLR). C’est un peu comme des castings en fait, après ça marche, ça ne marche pas…

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Désirez-vous sortir du carcan du cinéma de genre ?

Oui, personnellement c’est ce que j’aimerais beaucoup. En France quand tu as une étiquette « film de genre » tu es un peu mis de côté. Ca reste un cinéma de niche, tu en as un peu partout mais c’est tout petit. Dès que tu es affilié au cinéma d’horreur c’est difficile d’en sortir. Mais c’est l’envie que j’ai : de pouvoir proposer autre chose. Je fais pas mal de choses justement pour montrer qu’on a un registre varié. J’aimerais bien bosser sur du cinéma espagnol, ou scandinave, ils font plein de choses plutôt cool.

Et la télévision ?

Justement je suis sur un projet de série, une série « de genre » justement ; ça m’aurait étonné qu’on m’appelle pour une comédie ! C’est une série post-apocalyptique, je devrais m’occuper du pilote, vers le mois d’octobre je pense. Après on va voir s’ils arrivent à le vendre aux télés. Ce qui est cool avec les séries c’est que tu as vraiment le temps de développer ton son en même temps que les personnages évoluent. C’est moins condensé que sur un film. Après, la télé, mis à part les séries, c’est quand même un monde totalement différent. Pour ce projet je serai tout seul, car mon frangin est reparti sur de la musique d’album, il travaille sur son deuxième album et il devrait faire pas mal de concerts à partir de la rentrée. Donc ce sera moi tout seul, mais il est possible que ça évolue, qu’il vienne faire des featurings à certains moments. De toutes façons, même sur des B.O. que je compose seul il intervient, que ce soit sur le mix ou ailleurs. En fait on bosse tout le temps ensemble, on partage le studio. De mon côté j’ai lâché la musique d’album, ce qui me plait aujourd'hui c’est vraiment le travaille à l’image, c’est ce qui me fait vibrer.

Le travail de compositeur vous permet-il de gagner votre vie ou bien est-ce vos activités parallèles qui vous permettent de composer pour le cinéma ?

Disons qu’il y a eu un moment ou on ne faisait que du cinéma. Ca dépend des périodes, il y a des moments où tu fais plus d’alimentaire… Nous avons enchaîné quatre longs-métrages, c’est pas mal. Il y a une année où on en a fait deux, ensuite il y a des creux… Ca reste assez difficile d’enchaîner les projets. Il y en a qui arrivent, mais c’est toujours très long. Par exemple, Julien Seri, avec qui on a bossé sur Scorpion, a eu six films en développement qui ne se sont pas fait… c’est difficile. A eu une époque il y a eu ce qu’on a appelé les « French Frayeurs », il y a un paquet de film de ce genre qui sont sortis à la fois, donc c’est pour ça aussi qu’on en a fait beaucoup d’un coup. Mais vu qu’il n’y en a aucun qui ai vraiment marché, ils n’en font plus. Récemment il y a eu Goal of the Dead qui est sorti mais c’est plutôt une comédie, même si ce n’est pas grand public… ils essayent un peu autre chose… à voir.

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Peux-tu me parler de votre studio ? Quel est votre équipement ? Depuis quand l’avez-vous investi ?

Nous y sommes depuis 2009, depuis les Nuits rouges... Avant ça nous étions hébergé dans une boite nommée Muse Productions. Comme on fait de la musique depuis longtemps, au fur et à mesure on a investi dans pas mal de matériel. On bosse sur des ordinateurs et on a pas mal de hardware, on a du Neve, un table de mixage notamment… On est assez fan de la couleur. C’est un bon compromis entre l’analogique et le digital. Tu ne peux pas tout faire juste avec des « bécanes», tu as quand même besoin d’un peu de hardware, même si aujourd’hui au niveau des plug-ins il y a eu beaucoup de progrès. Il y a par exemple Universal Audio qui est très réputé, ils font des émulations, par exemple d’enregistreur à bandes, mais il ne sortent pas un plug-in tant que ce n’est pas validé par la boite qui fabrique l’original ! C’est assez bluffant. Après ça reste tout de même assez cher, donc tu es obligé d’acheter quand même du hardware. Nous utilisons beaucoup de machines mais nous fabriquons aussi beaucoup de sons. Il faut quand même le côté analogique, ne serait-ce que par plaisir. Et puis c’est du matériel qui ne va pas devenir obsolète au bout de deux ans. Quand tu entends Apple qui dit que si leurs machines tiennent cinq ans c’est déjà bien, et que tu vois le prix que tu payes… Un PC classique ça tient deux ans. Le matériel analogique, ça tient vingt ans, donc c’est aussi ça, et puis il y a un certain rendu, une couleur.

D’autres projets que tu voudrais évoquer ?

Je ne peux pas trop en parler… Je suis sur un paquet de films en financement. En financement, ça veut tout dire, et ça veut rien dire… Donc il y a pas mal d’idées, plein de projets… Ce qui m’intéresse surtout, c’est l’aventure avec les gens. Quand tu bosses sur une B.O. tu partages beaucoup de choses, tu rencontres beaucoup de personnes, beaucoup de réalisateurs qui ont envie de faire leur premier film… Il y aura certainement d’autres projets avec des gens avec qui nous avons déjà travaillé, mais c’est toujours pareil, il faut être patient, et en reparlera au moment voulu… J’espère aussi que ce projet de série, qui s’appelle Reset, va voir le jour. On devrait tourner le pilote en octobre. Un des réalisateurs sera Laurent Duroche, le journaliste de Mad Movies, qui vient du documentaire. C’est co-écrit par Christelle Gras et Yohann Labrousse, ils ont beaucoup d’idées. Il y aura des épisodes web de deux minutes qui feront le lien entre les épisodes télé. Plein d’idées, plein de projets, à voir s’il y en aura un qui éclora. On en reparlera !

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