On l'a découvert à la dernière Quinzaine des réalisateurs avec It Follows, un film d'horreur à la fois terrorrisant et envoutant dont l'un de nos rédacteurs nous disait récemment ici tout le bien qu'il en pense. David Robert Mitchell avait déjà fait un tour par cette même sélection cannoise en 2010 avec The Myth of The American Sleepover, symphonie sur le fantasme adolescent et sa réappropriation dans un monde qui s'en retrouve forcément diminué. Dénué de tout postulat horrifique ou fantastique, ce premier film diffusait malgré tout un intense parfum générique. L'ombre du John Carpenter de Halloween y plane au gré de ces travellings suburbains mélancoliques, un jeune adulte y traque deux jumelles fantastiques qu'il peine à différencier, on y invoque les esprits et de mystérieux couloirs souterrains abritent d'impossibles présences fantomatiques. C'est donc tout logiquement qu'on le retrouve aujourd'hui aux commandes d'un vrai film d'horreur, parmi les plus effrayants que le cinéma américain nous ait offert dernièrement, nimbé malgré tout d'une douceur étrange, écho d'une naïveté qui doucement s'envole et infusion d'un désespoir qui progressivement s'installe.

Il fallait donner la parole à cet auteur atypique, dont on ne sait pas vraiment si on le retrouvera dans les mêmes sphères horrifiques qu'on lui connaît désormais, mais qui saura toujours, on en est persuadés, puiser dans un cinéma d'horreur qui est l'une des matrices évidentes de son cinéma.

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Quelles étaient vos influences pour votre premier film, The Myth of The American Sleepover ? On a beaucoup pensé à Gus Van Sant, Donnie Darko, Gregg Araki, certains films de la Nouvelle Vague.... Les comic-books de Daniel Clowes ou Charles Burns, aussi.

Tout à fait, et vous pourriez en rajouter encore. C'est aussi un hommage à American Graffiti (un film que j'adore), mais surtout j'ai essayé d'y mettre une empreinte personnelle. Les films de Truffaut avec Doinel, ou encore L'argent de poche, m'ont beaucoup inspiré aussi. Trop d'influences pour toutes les nommer. Les bandes-dessinées dont vous parlez, également. J'ai lu Black Hole il y a quelques années, j'ai beaucoup aimé.

Les jeunes acteurs sont incroyables. Comment les avez-vous dénichés ?

On a fait des auditions ouvertes dans le Michigan tout au long d'une année. D'une manière très roots. La grande majorité des acteurs ne s'étaient jamais trouvés devant une camera auparavant. Ils ont néanmoins fait un super boulot.

Même s'il ne s'agit pas d'un film de genre, on trouve de nombreuses connections : l'absence d'adulte, la séquence de Ouija, le personnage qui poursuit les jumelles...

J'aime l'idée de détourner des stéréotypes et autres éléments du film de genre. Je m'empare de choses que nous avons tous déjà vu et je les dérègle un tout petit peu – suffisamment pour obtenir quelque chose de nouveau. Il y a aussi, dans ce premier film, un élément de tension. Certains spectateurs le regardent en se demandant à quel moment quelque chose de grave va arriver. Cette sensation est véhiculée à la fois par conditionnement à d'autres films, et par la manière dont le film lui-même progresse.

Quel est ce film japonais, avec les jumelles et l'araignée géante, sur l'on peut voir sur une télé à un moment ?

C'est un film appelé Mosquita. On l'a réalisé nous-mêmes, dans le style d'un film de monstre japonais. J'ai toujours la figurine !

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Quelle a été la réception du film ? Est-il sorti aux Etats-Unis ?

Elle a été bonne. On a eu une petite sortie aux USA. Le peu de gens qui ont vu le film ont des réactions très positives. On n'a malheureusement pas obtenu la publicité ou le marketing qu'on aurait voulu, mais ce n'est pas grave. Pour un petit film, fait avec peu de moyens, j'en suis très fier. On a mis toute notre énergie et notre amour, dedans.

Le film appartient à un genre très américain : le teen-movie. Un genre qui n'existe pas vraiment en France. Selon vous, pourquoi l'adolescent est-il une figure si présente dans le cinéma américain ?

Quand j'étais jeune et que j'ai réalisé que je voulais faire des films, j'ai vu beaucoup de long-métrages d'apprentissage, et certains films ont été très importants pour moi. Je suppose que j'ai voulu en faire une variation personnelle.

The Myth... parle de fantasmes adolescents, et de la manière dont on doit composer avec eux, choisir entre eux le « monde réel ». Dans It Follows, les fantasmes assouvis bouleversent le monde. Etait-ce conscient, et pensez-vous à ce second film comme à une sorte de suite perturbée du premier ?

Je ne l'ai jamais pensé en ces termes, mais en regardant en arrière je comprends tout à fait qu'on puisse le penser. Quand j'ai commencé à écrire It Follows, j'ai essayé d'imaginer comment des personnages « authentiques » (comme ceux de The Myth...) pourraient gérer une situation cauchemardesque.

A Cannes cette année, les meilleurs films américains étaient centrés autour de la figure de l'adolescent, au milieu d'un monde où l'adulte est disparu, ou amoindri. L'Amérique a-t-elle définitivement abandonné ses enfants ?

Je ne pense pas. Ces impressions relèvent de l'aspect cyclique du passage des générations.

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Dans vos deux films, le Michigan et Détroit jouent un rôle important.

Effectivement, mais c'est principalement parce que c'est l'endroit où j'ai grandi, et qu'une bonne partie de mon esprit créatif provient de là.

It Follows est une nouvelle preuve (après les derniers films de James Wan, sans faire d'autre comparaison entre son cinéma et le votre) que les films d'horreur essaient à nouveau d'effrayer. Voyez-vous cela comme une réaction ?

Je pense que le public a effectivement envie à nouveau de frissonner, et de retrouver des sensations perdues dans un cinéma d'horreur plus ancien. Difficile d'en être sûr.

Il y a d'ailleurs du Carpenter, dans vos films, mais aussi une atmosphère plus romantique. On a pensé à Morse notamment, peut-être à cause de la scène finale dans la piscine.

Oui, je trouve que c'est un excellent film. Mais la scène dont vous parlez dans It Follows s'inspire davantage de La féline que de quoi que ce soit d'autre. Même si évidemment, il y a beaucoup de séquences célèbres dans le cinéma d'horreur se situant dans une piscine. C'est une vieille tradition.

La musique et le design sonore de It Follows sont excellents.

La musique est écrite par Disasterpeace. C'est un merveilleux musicien et compositeur. Je voulais un score qui soit à la fois beau et perturbant, qui agresse presque le spectateur. Je pense qu'il y est parvenu.

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Votre "créature" compte parmi les plus singulières vues au cinéma ces derniers temps. D'où vient-elle ?

De cauchemars que je faisais quand j'étais gamin. J'y étais poursuivi par un monstre qui ressemblait successivement à plusieurs personnes différentes et marchait dans ma direction, indéfiniment. Je pouvais toujours m'échapper mais l'idée d'être poursuivi éternellement était très perturbante.

Que signifie pour vous cette maladie sexuellement transmissible qui génère des poursuivants ?

Le film peut se lire à différents niveaux. Avec un peu de chance chacun aura son interprétation, qui sera sans doute différente de la mienne. Mais c'est le but.

L'eau a une grande importance dans vos deux films. Les personnages sont attirés par elle, doivent y plonger pour se retrouver eux-mêmes, etc.

L'eau est un élément viscéral, qui réduit la distance entre le spectateur est l'espace fictionnel. Le bruit de l'eau nous transporte. C'est un élément à la fois physique et émotionnel, pour moi.

Qu'en est-il de la distribution du film aujourd'hui ?

Aux USA il sortira chez Radius, en France chez Metropolitan. Je ne connais encore aucune date.

Votre prochain fillm sera-t-il un film d'horreur ?

J'ai plusieurs projets que j'essaie de lancer en ce moment, dans des genres très différents. J'aimerais faire un autre film d'horreur à l'avenir. Ce sera peut-être un avenir proche, peut-être pas. Difficile à dire.

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