Tout le monde a déserté Lost River. Tout le monde ou presque, puisqu'on peut encore y croiser quelques habitants, qui refusent obstinément de partir. Parmi les êtres isolés qui s'apprêtent à être engloutis au beau milieu de ce qui n'est autre qu'une Atlantide en devenir, une vieille dame. Muette depuis que son mari a trouvé la mort durant la construction du barrage qui a détruit la ville. Et qui regarde inlassablement, ombre noire planquée dans l'ombre, des images du passé. Son regard vide rencontre le regard aveugle d'une version d'elle-même apparaissant floue sur la vidéo, comme estompée par l'incertitude de sa propre existence.

Cette vieille dame est Barbara Steele, et une séquence douce et triste se charge d'une présence à la fois lourde et fuyante. Sa silhouette est à la fois celle d'une sorcière et d'un fantôme. D'un être revenu d'entre les morts. Son visage vieilli porte les traces d'un passé qui a fait autant de ravages sur lui que sur les toits et les murs des maisons de Lost River.

La jeune femme floue qu'elle regarde et qui ne la regarde pas en retour, est clairement jouée par une jeune actrice qui n'est pas Barbara Steele. Sa jeunesse est figée dans une zone de non existence, cette vieille dame n'a jamais été la jeune femme souriante qu'elle prétend pourtant être.

Ces deux regards, qui se perdent et s'annulent l'un dans l'autre, est renforcé par un regard qui nous est directement destiné, qui n'a d'autre réceptacle que notre propre regard : le visage de l'actrice au milieu d'un cadre, qui nous est donné à voir en direct d'une époque que l'on peut identifier : celle où cette jeune femme aux intenses yeux noirs était déjà, film après film, un être revenu d'entre les morts.