PIFFF 2018
La 8eédition du PIFFF s’est déroulée du 4 au 9 décembre dernier au cinéma Max Linder Panorama, superbe écran indépendant situé au cœur de Paris, et ce fut encore l’occasion de bien terminer l’année cinéphile devant quelques péloches déviantes et dans une bonne ambiance toujours assurée, éléments constitutifs de cet événement devenu incontournable dans le petit monde des festivals de films de genre français, et qui nous aura encore réservé quelques belles surprises !
Les jeunes sorcières de Salem (American rebels, part I)
Le cinéma de genre se révèle souvent comme l’un des médiums les plus efficaces quand il s’agit de proposer un commentaire pertinent sur les aléas du monde contemporain, peut-être parce que la réalité dépasse souvent la fiction, cette dernière étant en outre un bon moyen de l’exorciser et de la mettre en perspective. Le cinéma américain s’est ainsi illustré à travers une série de classiques auscultant le côté obscur d’un mode de vie typiquement suburbain, devenu visuellement et thématiquement familier pour le spectateur français alors même qu’il lui est intrinsèquement étranger. Avec Assassination Nation, le jeune réalisateur Sam Levinson a donc choisi de s’inscrire dans la lignée de œuvres des années 1970 et 1980 qui ont donné leurs lettres de noblesses au genre en proposant une relecture originale du mythe des sorcières de Salem à la sauce 2.0, avec pour objectif principal une dénonciation sans concession de l’hypocrisie brutale de l’Amérique puritaine. Pour son second long-métrage, le fils du cinéaste Barry Levinson réussi son coup, livrant au passage un mémorable portrait de jeunes filles en colère et bien décidées à refuser catégoriquement les diktats cyniques du patriarcat qui gouverne la petite ville fictive de l’Americana dont le film dresse un portrait sans complaisance.
Alors qu’on pouvait craindre un bombardement d’effets post-modernes complaisants façon Tragedy Girls (présenté l’an dernier au PIFFF et qui apparaît comme un versant décérébré de cette esthétique cinématographique post-réseaux sociaux), Assassination Nation joue au contraire plutôt habilement des effets de style propres à son sujet (messages instantanés qui apparaissent à l’écran et omniprésence générale des outils de communication modernes) et au mode de vie hyper connecté de ses héroïnes adolescentes. Ainsi, plutôt que de dresser un portrait navrant d’une génération narcissique et superficielle, le jeune cinéaste préfère se situer fermement du côté des jeunes filles confrontées à la bêtise généralisée et l’opprobre publique. Et si la manière de faire passer le message est souvent un peu grossière et lourdement surlignée, les idées exposées se révèlent finalement plus subtiles qu’elles n’en ont l’air. En effet, en associant mise en garde du potentiel ravageur des moyens de communication modernes mêlé au puritanisme profondément hypocrite et dangereusement bigot d’une partie de l’Amérique, Sam Levinson expose la schizophrénie d’une société voyeuse et misogyne qui préfère sacrifier ses enfants plutôt que remettre en question ses valeurs morales périmées.
La réussite du film tient beaucoup à la bienveillance du cinéaste à l’égard de ses personnages, et la manière dont ces jeunes filles naviguent avec courage et détermination dans un environnement qui leur est fondamentalement hostile, confrontées une société qui leur demande d’être tout et son contraire à la fois, et punie sévèrement la moindre errance. On regrettera tout de même un dernier acte un peu bâclé et qui transforme les jeunes filles en vengeresses surarmées, misant sur une réappropriation du symbole phallique ultime du patriarcat américain (le gros flingue) plutôt que de trouver une échappatoire plus originale à ses combattantes nouvelle génération. Cette conclusion un peu forcée est contrebalancée par le charisme de ses jeunes interprètes, en particulier Hari Nef et Odessa Young, qu’on devrait rapidement revoir étaler leur talent précoce dans des productions plus grand public. Malgré ses défauts de fabrication, Assassination Nation s’impose comme une œuvre réussie et profondément ancrée dans son époque, qui pose des questions pertinentes sans tomber dans le moralisme et propose une vision optimiste et volontaire d’une jeunesse confrontée à la vulgarité du monde. A ce titre, le film apparaît comme un écho pas si lointain du séminal Spring Breakers, conçu dans l’Amérique déboussolée et sur-connectée de la fin des années 2010.
De façon un peu surprenante, c’est la compétition internationale – du moins ce qu’on en a vu – qui a semblé la sélection la plus faible de cette édition. C’est forcément un constat limité aux quatre films vus sur les huit présentés dans cette section (d’autant qu’on a loupé le Grand Prix Climax avec Freaks ainsi que le très intriguant Achoura) mais force est pourtant de constater que sur un plan purement qualitatif, certains long-métrages sélectionnés en compétition auraient certainement plutôt trouvé leur place hors-compétition, et inversement.
Prototype typique de série B peu inspirée malgré un pitch de départ intriguant à souhait, le thriller britannique Await Further Instructions cherchait en vain un équilibre entre le huit-clos horrifique et une science-fiction à sous-texte politique aux forts relents eighties. Malheureusement, Johnny Kevorkian n’est pas John Carpenter et la sauce ne prend pas, principalement à cause de personnages terriblement mal écrits et qui illustrent péniblement une avalanche de clichés totalement grotesques. L’ambition politique du film, qui se voudrait un commentaire acerbe de l’influence néfaste de la télévision sur les esprits malléables en même temps qu’une allégorie de l’Angleterre post-Brexit, est ainsi plombée par le manque de subtilité avec lequel sont caractérisés des personnages trop caricaturaux pour être vraisemblables et générer une quelconque empathie. Dès le départ, le film s’épuise à caractériser lourdement le racisme et la bêtise de la famille anglaise bon teint confrontée au fils à tendance libérale et sa petite amie médecin d’origine indienne, la seule qui semble dotée d’un cerveau au sein de la maisonnée.
Rapidement prisonniers de leur propre foyer, encerclés par une force inconnue et bientôt martelés de mystérieux messages qui apparaissent sur le téléviseur familial, les personnages vont se déchirer jusqu’à l’horreur au fur et à mesure d’un scénario qui s’avère incapable de réserver la moindre surprise tant le propos est martelé dès les premières minutes du film. Outre leur caractère unidimensionnel, il est difficile de ressentir de l’empathie pour des personnages à ce point idiots, qui suivent mot à mot des instructions radicales d’origine inconnue et sont ouvertement présentés comme des abrutis auxquels ne sera jamais offert de possibilité de rédemption. Le contraste avec le jeune couple libéral supposément plus malin pêche d’autant plus que ces derniers sont également dépourvus d’ambiguïtés, et termine de révéler que derrière ses intentions critiques, le film n’a absolument aucun discours original à proposer sinon une paresseuse mise en garde contre le pouvoir néfaste de la télévision… Pour conclure, on remarquera encore une fois la tendance actuelle des séries B de science-fiction à être pensées comme des versions (trop) longues d’épisodes de série télé (Black Mirror en tête de gondole), basées sur un gimmick scénaristique qui n’est jamais véritablement développé comme un scénario original, et filmée de manière purement utilitaire. La science-fiction, un genre dont la réussite tient beaucoup à la créativité esthétique et l’audace formelle, s’acclimate décidément très mal à ce formatage.
Dans un style très différent, Terrified était présenté comme une réinterprétation argentine du modèle de film d’horreur (plus ou moins) flippant perfectionné par la société de production Blumhouse au fil des succès de la série des Insidious et autres Conjuring. Les programmateurs du festival avaient commencé par avouer que le film est issu d’une plateforme de diffusion argentine au contenu apparemment assez médiocre, et ne donnaient pas complètement l’impression d’être convaincus de la qualité de la proposition… Et de fait, le long-métrage de Demiàn Rugna ne fait pas longtemps illusion tant l’ensemble se révèle maladroitement ficelé et finalement plus ennuyeux que véritablement effrayant. C’est forcément un problème pour un film présenté comme une expérience terrifiante, et qui mise presque tout sur le projet de faire peur au spectateur par tous les moyens possibles.
Le tour de train fantôme est plombé par un scénario alambiqué qui fait régulièrement retomber la tension, les explications improbables que le cinéaste semble vouloir donner aux événements participant de rendre l’ensemble factice et peu efficace. La présence d’un humour à tendance ironique accentue encore cette distanciation qui brise la tension et empêche l’effet d’immersion pourtant essentiel à ce genre de film, qui s’accommode généralement assez mal des clins d’œil méta. Le concept horrifique du film, révélé en cours de route, ne brille pas d’originalité mais possédait cependant un véritable potentiel visuel qui ne sera jamais exploité ici faute de véritables idées fortes de mise en scène. En fin de compte, et malgré une durée assez courte de 87 minutes, c’est l’ennui qui prime sur l’effroi, la répétition en vase clos de jump scares et autres apparitions surnaturelles (on en voit d’ailleurs beaucoup trop dès le début du film) ne parvenant jamais à faire s’élever Terrified au-dessus du statut de petite série B horrifique mal fagotée découverte en festival et destinée à être très rapidement oubliée. D'autant que le cinéma fantastique sud-américain nous a récemment offert quelques autres propositions autrement plus intéressantes...
Côté français, on passera très rapidement sur Girls with Balls, film qui cumule à peu près toutes les tares du mauvais cinéma de genre moderne avec une autosuffisance vulgaire digne des pires talk-shows du PAF. On l’a déjà constaté par le passé, un public existe bel et bien pour ce genre de film, en particulier dans les festivals de cinéma de genre, et qui déteste probablement une partie des films qui sont encensés dans TORSO (en gros, si vous aviez aimé Game of Death, vous pourriez aimer ce film). Reste que la vision (heureusement très brève) de Girls with Balls est un expérience navrante tant le film semble avoir été bâclé en toute complaisance et représente une insulte au cinéma d'horreur. On passera sur les valeurs navrantes délivrées tout au long du film avec un détachement cynique assez déprimant pour supposer que l’humour débile et la nullité paresseuse de l’ensemble sont probablement le résultat d’un manque tragique d’inspiration et de talent… les spectateurs (qui ne sont pas des demeurés) méritent quand même mieux que ça !
Beaucoup plus intéressant, Tous les Dieux du Ciel est un projet radicalement personnel et unique, adaptation par l’auteur-réalisateur Quarxx de son propre moyen-métrage Un Ciel Bleu Presque Parfait, très remarqué et plusieurs fois primé dans divers festival internationaux. Si le cinéaste refuse l’étiquette du genre, il semble tout de même inévitable de replacer le film dans le contexte d’un cinéma de genre français qui peine toujours à obtenir une vraie reconnaissance nationale, alors même qu’il est depuis longtemps reconnu et respecté outre atlantique et dans les festivals du monde entier. Le long-métrage de Quarxx est d’autant plus singulier qu’il s’éloigne des cannons du genre et utilise le fantastique comme un élément parmi d’autres au service du cœur de son histoire : les relations ambigües et anxiogènes entre un homme vraisemblablement perturbé et la sœur lourdement handicapée dont il s’occupe (franchement mal). Le risque d’un tel sujet était de tomber dans le misérabilisme, le voyeurisme malsain ou carrément glauque. Au contraire, le regard du cinéaste semble emprunt d’une réelle bienveillance pour ses personnages (principaux mais également secondaires), tous profondément humains malgré leurs errances et des décisions souvent regrettables. Loin d’être un simple gimmick, l’inclusion d’un élément fantastique dans l’histoire permet d’exprimer l’ampleur du traumatisme et des tourments du personnage central, qui porte sur ses épaules le poids d’une culpabilité qui n’aurait jamais du être la sienne. Le résultat est un bel exemple du potentiel du surnaturel à exprimer des émotions et un propos qui auraient pu déboucher sur un film édifiant dans le cadre d’un cinéma plus traditionnel.
Le long-métrage a également l’originalité de s’inscrire dans une France rurale assez peu filmée (sinon chez Bruno Dumont), loin du tumulte des grandes villes et de la modernité grondante. Il y a aussi un écho du Take Shelter de Jeff Nichols (décidemment très présent dans le cinéma fantastique français après L’heure de la sortie) dans la projection d’angoisses existentielles fantasmées en catastrophe au potentiel apocalyptique, et la fuite dans le surnaturel d’un personnage qui ne parvient pas à affronter son anxiété face au réel. L’une des grandes réussites du film tient à l’alchimie entre ses interprètes, et le pari d’engager une actrice lourdement handicapée dans l’un des premiers rôles était risqué. Les performances combinées du duo constitué par Melanie Gaydos et Jean-Luc Couchard assurent la réussite du film, bien que certains seconds rôles ainent plus de difficultés et plombent un peu la crédibilté de l'ensemble. Le cinéaste a également des difficultés à clore son récit, qui piétine un peu dans une dernière partie en forme d'épilogue filmé au cœur d’un couvent, et qui rompt avec l’ambigüité tonale qui caractérisait le reste du métrage. Tous les Dieux du Ciel n’en est pas moins une belle réussite, un film très singulier qui a séduit bon nombre de festivals mais reste suspendu à un destin encore incertain en salles, preuve de la frilosité toujours renouvelée de l’industrie pour le cinéma de genre, terme générique qui exprime plus souvent un état d’esprit et des moyens financiers réduits que l’ancrage dans un genre cinématographique particulier.
Hors-compétition : retours en demi-teintes...
La section Hors Compétition était l’occasion de retrouver un certain nombre de patronymes familiers et de films attendus. Découvert avec Berberian Sound Studio en 2012, le cinéaste anglais Peter Strickland est l’un des représentants les plus doués d’un courant particulier attaché au fétichisme d’un certain cinéma d’exploitation européen des années 1970, dont il prend un grand plaisir à réactiver les codes dans le cadre de projets singuliers qui jusqu’à présent étaient parvenus à éviter de tomber dans le piège du nombrilisme auto-satisfait trop souvent associé à ce type de démarche. Après la réussite de The Duke of Burgudy, dernier long-métrage en date livré il y a déjà quatre ans, on était donc plutôt enthousiaste à l’idée de découvrir In Fabric, que le cinéaste est venu présenter en personne à Paris. Cependant, l’engouement retombera rapidement devant l’étalage de suffisance d’un film sans queue ni tête qui apparaît comme une auto-caricature à la limite du pastiche involontaire. L’équilibre fragile précédemment trouvé par l’auteur, entre indigence référentielle, fétichisme cinéphile et une véritable originalité se rompt brutalement pour laisser apparaître le manque du substance du film, qui ne parvient jamais à exister autrement qu’en tant qu’échos caricatural d’un genre dont il essai par tous les moyens de recréer les fulgurances picturales sans jamais y parvenir. Le résultat est ampoulé et indigeste, et donne une terrible impression de superficialité, ne sachant plus vraiment sur quel pied danser entre sérieux grotesque et une succession de clins d’œil complices au spectateur.
L’équilibre précaire du giallo, genre fétichiste par excellence qui sert encore et toujours d’horizon idéal et fantasmé au cinéaste (bien qu’on sente également ici une influence du cinéma camp anglais des années 1970, le grand magasin du film résonnant comme un lointain écho de la demeure à tiroir de l’Abominable Dr. Phibes), reposait sur l’affirmation d’une grandiloquence très premier degré avec laquelle le cinéaste ne parvient pas à renouer, et semble user de l’humour comme d’une béquille fragile face à l’imminence du grotesque des personnages et des situations qu’il invente. Il y avait pourtant de belles idées à exploiter, entre le foulard assassin et le vieux capitaliste qui donne naissance à des vendeuses à l’allure de sorcières à partir des mannequins du grand magasin via un procédé plutôt singulier. Le virage étonnant du film, qui sacrifie son personnage le plus attachant à mi-parcours au profit d’un couple de futurs mariés complètement fades, coupe le film en deux parties inégales et révèle le manque d’intérêt du cinéaste pour ses personnages autant qu’un aveuglement face à l’indigence de ses propres précédés. Cette rupture narrative brutale, à défaut d’être un développement original, met surtout en lumière les limites des procédés fétichistes de mise en scène et donne le sentiment que le film aurait pu être un très bel épisode de la défunte anthologie des Masters of Horror, mais ne tient pas la durée d’un (trop) long-métrage. Le résultat est ainsi à l’image d’un miroir qu’on aurait placé face à un autre et qui deviendrait une boucle infinie d’échos de lui-même, ne parvenant plus à être le reflet d’autre chose que de sa propre image et n’existant finalement plus qu’en circuit fermé. Une vanité qui finit par exclure les personnages tout autant que le spectateur de son projet nombriliste.
Autre cinéaste de retour, et dont on avait plus entendu parler depuis un moment, Colin Minihan était la moitié des Vicious Brothers, duo canadien qui avait posé sa pierre à l’édifice du found footage avec le sympathique Grave Encounters, cauchemar labyrinthique découvert au bout d’une journée marathon à Gérardmer au tout début 2012, qui nous avait fait l’effet d’une bonne surprise et laissé un souvenir plutôt positif. Voguant en solo depuis maintenant quelques années, Minihan revient ici avec le thriller What Keeps You Alive, qui s’amorce par l’arrivée d’un couple de jeune mariées dans un grand chalet isolé dans les bois et au bord d’un grand lac, un décor des plus typiquement canadien qui va rapidement devenir le cadre d’un face-à-face impitoyable. La belle idée du film était de mêler le drame sentimental avec le survival, la désillusion amoureuse prenant une tournure particulièrement brutale qui transforme le deuil émotionnel en un véritable combat pour la survie. La mise en scène très esthétisante (très « clipesque ») dessert cependant l’efficacité du film, qui aurait sans doute gagné à aller vers plus de naturalisme, tandis que le cinéaste semble plus appliqué à cadrer de jolis plans et à insérer des effets de style au montage plutôt qu’a créer une véritable tension narrative. A l’image de cette séquence filmé en lumière noire et lourdement soulignée par de la musique, fausse bonne idée de mise en scène complètement déconnectée des enjeux du film. L’autre gros point faible du film est le manque d’alchimie évident entre les deux actrices principales, résultant d’une grosse erreur de casting en ce qui concerne la sociopathe homicide, complètement à côté de la plaque et jamais crédible dans le rôle. C’est d’autant plus regrettable que son alter-égo est plutôt réussi, l’actrice Brittany Allen incarnant entre douceur et colère blessée un personnage pas évident de jeune femme d’abord sidérée puis terrifiée par l’illustration la plus extrême de l’adage qui veut que l’on ne connaît jamais véritablement les autres, y compris ceux dont on partage la vie. Outre le plantage complet de son personnage de psychopathe, le film est plombé par des incohérences scénaristiques pesantes d’autant plus dommageables qu’elles arrivent à des moments clés du film (on notera au passage une belle illustration de l’utilité scénaristique du Fusil de Tchekhov mis en évidence par l’absence dudit procédé et la carence qui en découle à un moment décisif de la confrontation). En fin de compte, trop de maladresses et d’approximations débouchent sur un long-métrage plutôt indigeste qui peine à surnager au milieu de l’océan des petits thrillers formatés pour les festivals de cinéma de genre.
... et pépites japonaises
Comme de coutume, le PIFFF avait réservé une place de choix au Japon dans sa sélection, et cette cuvée nippone 2018 était alléchante avec une poignée de pelloches attendues (et dont on suppose que la non-sélection en compétition devait avoir des explications autres que qualitative). Projeté dès le premier soir et dans la foulée de la séance d’ouverture, Ne Coupez Pas ! (alias One Cut of The Dead) arrivait précédé d’une réputation flatteuse acquise au cours d’une tournée acclamée des festival de cinéma fantastique et surfant sur la vague d’un immense succès public au Japon. A l’origine un direct-to-vidéo filmé en DV par le nouveau venu Shin’ichirô Ueda, ce long-métrage surprenant écarte les craintes de gros délire méta Z avec une inventivité et une intelligence qui laisse à penser que son auteur pourrait être au début d’une très belle carrière. Tourné en huit jours et incluant un plan séquence de 37 minutes, le film est un hommage sincère à la nature collégiale de la création cinématographique avant d’être une prouesse technique et une carte de visite pour son auteur, la réussite évidente des deux aspects démontrant toute l’étendue du talent de ce dernier. Diablement bien conçu et écrit, Ne Coupez Pas ! est la mise en abîme d’une mise en abîme, making off fictionnel d’un autre qui s’amuse des interactions à double sens entre fiction et fabrication, révélant un hors champs dynamique qui abrite l’ampleur d’un univers fictionnel autant que ses coulisses.
Loin d’être un clin d’œil goguenard au spectateur, ce dispositif d’effeuillage progressif des différentes couches méta-filmiques raconte le processus de fabrication d’un film à petit budget à la manière d’une Nuit Américaine dédiée au cinéma bis et fauché. Jusqu’au bout de son générique final, Ne Coupez Pas ! s’attache à présenter le film comme un objet à multiples niveaux de lecture et développe un discours passionnant sur le cinéma en tant que forme vivante et dynamique, l’objet final étant le reflet de différents stades de mutation et possédant en son sein et dans son hors-champs toute l’histoire de ceux qui l’ont rêvé et fabriqué. Une belle idée du film comme concept organique aux ramifications multiples, très éloigné du fétichisme figé qui découle trop souvent de ce type de projet post-moderne. Cette célébration des artisans du bis loin d’être complaisante est avant tout un hommage au cinéma comme art collectif nécessitant la volonté et l’enthousiasme de chacun pour faire surgir la créativité en dépit des innombrables difficultés et consignes à respecter propres à un film de commande à petit budget. Le résultat est une illustration directe du propos, le cinéaste transformant un petit direct-to-vidéo fauché en un pur objet de cinéma par un déferlement d’idées de mise en scène qui s’emboitent avec une aisance presque miraculeuse. En fin de compte, Ne Coupez Pas ! est un très bon film sur le cinéma et ceux qui le font, autant qu’une célébration des multiples possibilités esthétiques et narratives de l’art cinématographique. Après un tel coup d’essai, on se demande ce que Shin’ichirô Ueda pourra faire avec le budget plus important dont il devrait sans aucun doute bénéficier rapidement.
Autre film très attenu de cette 8eédition, The Blood of Wolves est l’adaptation d’un roman policier qui a connu un grand succès au Japon, par ailleurs récemment publié en français sous le titre Le Loup d’Hiroshima (aux éditions Atelier Akatombo). L’auteure Yûko Yuzuki ayant ouvertement revendiqué l’influence du cinéma de Kinji Fukasaku sur son œuvre, l’adaptation cinématographique du livre vient donc logiquement boucler la boucle de cette ample fresque dédiée aux relations brutales et ambigües entre police et yakuzas dans la ville d’Hiroshima à la fin des années 1980. Le réalisateur Kazuya Shiraishi, habitué des polars, s’empare d’une histoire complexe et alambiquée mettant en vedette l’acteur star Kôji Yakusho, abonné aux rôles de taiseux qui laisse exploser la furie de son personnage de flic véreux avec un enthousiasme évident. L’histoire suit le parcours d’un jeune policier idéaliste (Tôri Matsuzaka) qui découvre les complexités politiques et morales de l’underworld local en menant une enquête aux cotés d’un vétéran aux méthodes douteuses, et qui se retrouve rapidement pris en étaux au milieu d’une lutte d’influences entre administration policière, flics de terrain et bandits surpuissants.
Les conflits sanglants entre factions de yakuzas font ainsi échos aux trafics d’influence au sein de la police, manipulations politiques et autres machinations qui semblent avoir principalement pour but de maintenir un pouvoir politique plutôt que d’assurer le maintien de l’ordre et la sécurité des citoyens. S’il revendique l’héritage des classiques du film de yakuzas, Kazuya Shiraishi semble aussi très influencé par les polars léchés aux scénarios à tiroirs du voisin coréen, avec lesquels il partage également une fâcheuse tendance à trop étirer son récit. Le film de gangsters nerveux mue peu à peu en fable morale sur les apparences trompeuses, et s’embourbe dans sa dernière partie dans une élégie pompeuse et larmoyante qui plombe un peu l’énergie du film. En fin de compte, The Blood of Wolves laisse une impression mitigée, celle d’un bon polar solide à la mise en scène maîtrisée, mais qui manque cependant de la singularité ou du grain de folie qui aurait pu en faire une petite bombe. Le film est certes violent, énervé, et propose tous les passages obligés ou presque du genre, mais se révèle paradoxalement un peu trop sage.
Autrement plus chaotique, Punk Samurai Slash Down annonce le programme dans un titre aussi absurde que fidèle au contenu du film. Il s’agira donc de l’improbable histoire d’un samouraï fine lame à la morale douteuse qui loue ses services au clan local afin de contrer la menace d’une secte populaire obsédée par… le culte de la danse du ventre. Un pitch absurde et grotesque qui donne une idée très lointaine des multiples rebondissements qui jalonnent le film, adapté du roman à succès éponyme de Kou Machida et scénarisé par Kankuro Kudo, ancien musicien qui participa dans les années 1980 à l’avènement du punk sur l’archipel en compagnie de celui qui se faisait encore appeler Sogo Ishii. Avec Punk Samurai Slash Down, le cinéaste culte qui s’appelle désormais Gakuryu Ishii (Burst City) propose une relecture azimutée du chambara, le film de sabre qui est un passage presque obligé pour tous les grands réalisateurs de genre japonais. Ce qui frappe surtout, c’est la grande liberté de ton dont jouit le cinéaste, qui s’en donne à cœur joie pour façonner un blockbuster pop et punk, multipliant les idées iconoclastes et les appels à l’insurrection politique sans manquer de dénoncer l’aliénation propre à une culture de masse qui annexe les élans contestataires pour mieux servir le pouvoir.
Il y a du Jack Burton dans ce personnage de samouraï vaguement loser qui semble aussi rusé et talentueux avec un katana que peu investi dans son rôle de héros, et qui va s’associer à une galerie de personnages hauts en couleurs qui lui volent régulièrement la vedette. Jouissif et imprévisible, le film est l’exemple d’un cinéma qui ne semble pouvoir exister encore que sur l’archipel, un long-métrage à gros budget (et bourré d’effets spéciaux numériques) mal élevé qui revendique un héritage punk sincère et qu’il ne saurait trahir. Autant d’idées subversives et d’absurdité assumée dans un film destiné au grand public, et illustrées par un déversement déchaîné d’idées visuelles et narratives décomplexées font de Punk Samurai Slash Down une petite bombe qui nous rappelle encore une fois pourquoi on aime tant le cinéma japonais, et également pourquoi donner les clés d’un gros film d’action à un vétéran de l’exploitation radicale est encore l’une des meilleures idées que des producteurs puissent avoir (ce n’est pas George Miller qui dira le contraire). Un blockbuster qui se termine par une reprise du Anarchy des Sex Pistols, c’est suffisamment rare pour être apprécié à sa juste valeur !
Reprises et (re)découvertes
Les séances cultes de cette édition avaient un parfum décidément eighties, avec une majorité de long-métrages issus de cette décennie fructueuse pour le cinéma fantastique. Outre le Maniac de William Lustig, sommet de cinéma anxiogène préfigurant le New York crade et déglingué de Frank Henenlotter et consorts (et ici présenté dans une version restaurée en 4K), le festival projetait le troisième volet de la saga Halloween sorti tout juste trois ans après l’original. Echec retentissant en 1982, le film jouit aujourd’hui d’une certaine réévaluation critique qui voudrait en faire un objet culte incompris, voire un « petit chef d’œuvre ». Halloween 3 : Le Sang du Sorcier est né d’une volonté de continuer à faire fructifier la franchise à succès amorcée par John Carpenter tout en lui donnant une nouvelle direction. L’objectif était à l’époque de transformer Halloween en une anthologie horrifique dont chaque nouveau long-métrage raconterait une histoire différente et pourrait fonctionner indépendamment des autres opus. Ceux qui ont déjà vu les épisodes suivants l’auront compris… le résultat fut un échec public cuisant qui poussa les producteurs à revenir à Michael Myers dès le quatrième film. Scénariste du Halloween original et déjà pressenti pour réaliser le second, Tommy Lee Wallace était un proche collaborateur de Carpenter, qui coproduit le film en compagnie de Debra Hill et en signe le score aux cotés d’Alan Howarth.
La présence du noyau dur à l’origine du succès de la franchise, qu’on devine supposée rassurer les investisseurs comme les spectateurs, n’aura donc pas empêché au film de se planter. Malgré un charme eighties suranné, on a du mal à interpréter la réévaluation critique du film comme autre chose qu’une bienveillance excessive envers une Madeleine de Proust découverte au fond d’un bac VHS. Metteur en scène peu inspiré (son adaptation de Ça quelques années plus tard aura imposé la figure du clown maléfique dans l’imaginaire des spectateurs, mais a tout de même pris un sacré coup de vieux), Tommy Lee Wallace a bâclé un scénario qui abandonne le ton très sombre des deux premiers films au profit d’une petite fable horrifique assez inoffensive. On peut voir dans ce retournement une volonté probable des producteurs de destiner le film à un public adolescent, afin peut-être de surfer sur le succès phénoménal du genre au début des années 1980. Bien que cela ne soit à priori pas nécessairement une mauvaise chose, la faiblesse de l’histoire et les raccourcis parfois à la limite du burlesque involontaire pris par le scénario donnent un très sérieux coup de vieux au film (avec une mention pour la libido déchaînée des deux protagonistes principaux), qui prend ici et là des atours de gros nanar. En fin de compte, Halloween 3 n’apparaît guère comme plus qu’un petit bis daté, réservé au lendemains de cuite paresseux et aux afficionados de la série.
Découvert la même année 1982 au festival de Sitges, Next of Kin est longtemps resté invisible en France, et la projection d’une copie restaurée en 4K aura été l’une des superbes découvertes du festival. Bien que tourné en Australie, le film fut réalisé par le néo-zélandais Tony Williams, qui n’aura pas connu la carrière que la qualité de son premier long-métrage fantastique semblait lui promettre. La première chose qui frappe, c’est la manière dont Next of Kin (aussi connu en France sous le titre Montclare : rendez-vous avec l’horreur) rompt avec l’image que l’on se fait de l’Ozploitation, ce cinéma d’exploitation australien qui fait habituellement la part belle à l’aridité des étendues désertiques de l’outback. Rien de tel ici, le film se déroulant dans une demeure à l’allure victorienne, isolée au cœur d’une nature plutôt verdoyante. Cadre de la chronique des tourments de la jeune Linda, qui revient prendre possession de la maison familiale (qui est aussi une maison de retraite) après le décès de sa mère pour découvrir qu’il se cache quelque chose de diabolique derrière les murs.
Tony Williams utilise ce canevas plutôt traditionnel pour dérouler les fils d’une intrigue nébuleuse qui met en porte-à-faux le personnage principal, jeune fille terrifiée qui se débat avec sa propre paranoïa et les événements tragiques qui s’accumulent autour d’elle et semblent indiquer que quelque chose ne tourne pas rond dans le hors-champs mystérieux de la demeure. Mais plutôt que son scénario alambiqué, c’est la mise en scène gothique et inspirée du cinéaste qui impose le film en un véritable petit bijou à redécouvrir d’urgence. Ainsi, la grande maison inquiétante mue peu à peu en une entité organique qui tourmente la malheureuse jeune fille, assimilant le film à un cousin australien du giallo pour sa propension à expérimenter visuellement, qui mise sur la forme pure comme moyen d’expression des émotions de son personnage principal. Le scénario devient alors relativement secondaire et c’est la mise en scène qui prend le relais comme vecteur narratif principal. Cette réalisation brillante et généreuse est un véritable plaisir de cinéphile, et fait prendre à ce long-métrage d’exploitation une ampleur inattendue qui culmine dans un final cataclysmique au cours duquel la menace devient une entité à part entière et multiple qui quitte la maison pour poursuivre Linda, qui n’aura alors d’autre choix de l’affronter. Quelque part à mis chemin entre le thriller psychologique, l’horreur gothique et le giallo italien, Next of Kin est une perle du cinéma australien qui mérite vraiment d’être redécouverte par les amateurs de cinéma en tout genre, et la projection trop rare du film sur grand écran était une occasion exceptionnelle de le découvrir dans toute sa splendeur visuelle.
Autre pépite retrouvée, Vorace réussi le tour de force de fusionner deux genres qui ont rarement fait bon ménage sur grand écran : le western et le fantastique. Le film, qui se déroule aux Etats-Unis au milieu du 19esiècle, commence par un paradoxe ; celui d’un militaire qui a commis un acte de bravoure improbable et résultant de sa lâcheté au combat pendant la guerre Américano-Mexicaine qui vient tout juste de prendre fin. Mis au placard après une promotion de circonstances, le capitaine John Boyd (Guy Pierce) est envoyé rejoindre un avant-poste paumé au fin fond de la Sierra Nevada, dans ce qui est encore une Californie sauvage et inhospitalière. La routine de la poignée de soldats qui y vivent va cependant être chamboulée lorsque débarque un personnage énigmatique, et que ce dernier commence à raconter comment il a survécu à l’égarement de sa caravane dans les montagnes enneigées. Résultat inespéré de conditions de production chaotiques, la réalisatrice Antonia Bird ayant débarqué en catastrophe sur le tournage, le film mérite amplement sa très bonne réputation et n’a quasiment pris aucune ride, l’originalité du script et de la mise en scène alliés à l’aspect historique du cadre offrant une atemporalité singulière à cette histoire de survie en milieu hostile.
N’appartenant à aucun genre en particulier (ou plutôt à plusieurs en même temps) et se déjouant des attentes du spectateur, Vorace est une œuvre singulière qui repose sur un équilibre précaire entre survival, thriller psychologique et horreur pure. La mise en scène sobre et précise d’Antonia Bird, toujours au service de l’histoire et des personnages, est soulignée par le score entêtant composé par le duo Dalmon Albran et Michael Nyman, résolument moderne et qui reste très original près de 20 ans après la sortie du film. Le succès du long-métrage tient également de son casting parfait composé d’acteurs iconiques des années 1990, en particulier le duel entre Guy Pierce et un Robert Carlyle diabolique qui se termine en apothéose sanglante. L’une des grandes qualités du film est également de prendre son temps pour introduire la situation et présenter la psychologie du protagoniste central du capitaine Boyd, puis l’arrivée de Colquhoun et la mise en place du piège qui se referme peu à peu sur les personnages. Cette longue exposition installe patiemment les éléments qui donneront sa résonnance à la seconde partie du film, centrée sur la confrontation entre Boyd et Colquhoun, et qui pourrait s’interpréter comme l’affrontement à mort de deux visions radicalement différentes d’une civilisation encore à construire. À ce titre, Vorace peut s’interpréter comme une allégorie surprenante des fondements du capitalisme américain, prédateur et vorace.
La révolution sera-elle télévisée ? (American rebels, part II)
Les programmateurs du PIFFF ont eu l’excellente idée de clôturer cette édition par la projection de Sorry to Bother You, premier long-métrage de l’incontournable Boots Riley, leader du groupe de rap The Coup, connu pour un militantisme radical qui ne s’est pas démenti en 30 ans de carrière. Tourné à Oakland – fief du cinéaste qui est aussi le berceau de divers symboles essentiels de la culture afro-américaine : le mouvement des Black Panthers, la culture du pimp (le film The Mack s’y déroule), ainsi qu’une scène rap trop méconnue dont le plus célèbre représentant n’est autre que le défunt Tupac Shakur – et situé dans un futur proche dystopique qui n’est pas sans rappeler l’Idiocracy de Mike Judge, Sorry to Bother You raconte le parcours d’un jeune afro-américain qui découvre le monde de l’entreprise et va peu à peu s’éloigner de sa compagne artiste et militante au fur et à mesure d’une ascension professionnelle fulgurante. Egal à lui-même, Boots Riley ne commet pas l’erreur d’emballer son message édifiant dans un discours moralisateur et cynique, et déploie au contraire des trésors d’inventivité pour dépeindre un monde cauchemardesque pas si éloigné du notre avec un humour burlesque et absurde à souhait. Cousin anarchiste du cinéma militant de Spike Lee, Sorry to Bother You s’inscrit dans la lignée d’œuvres récentes qui interrogent les rapports ethniques dans l’Amérique en crise du 21e siècle, depuis Get Out jusqu’à Atlanta (avec lesquels il partage des acteurs), mais aussi de l’anticipation angoissante incarnée par la série Black Mirror, dont l’influence semble décidément incontournable ces derniers temps.
La vision de l’avenir (mais peut-être surtout du présent) de Boots Riley est cauchemardesque, vulgaire et burlesque, mais laisse une place centrale à la possibilité d’une révolte qui passe avant tout par l’esprit critique, l’indépendance intellectuelle et la clairvoyance affective. Ainsi, dans un monde minable et foutu, il est toujours possible de s’opposer aux diktats du marché, même si cela signifie abandonner la poursuite d’un American Dream indissociable d’une réussite financière acquise sur le dos des autres. Très ancré dans des problématiques qui sont autant internationales que locales (rappelons que la Silicon Valley et San Francisco sont de l’autre côté de la baie d’Oakland), Sorry to Bother You s’inscrit également dans le renouveau du cinéma indépendant par son excellent casting, au centre duquel le couple interprété par Lakeith Stanfiel (nouvelle coqueluche du cinéma indépendant qui crevait déjà l’écran dans un rôle secondaire d’Atlanta) et Tessa Thompson (vu dans Westworld et bientôt Woman in Black dans le spin-off britannique prévu pour 2019), cette dernière incarnant un personnage superbe qui insuffle une énergie militante et féministe au film. Bordélique et jouisseur, le film tire parfois un peu dans tous les sens, mais l’énergie créative et le propos radicalement moderne qui s’en dégagent en font l’une des œuvres les plus euphorisantes de 2018. La programmation du film en séance de clôture du PIFFF faisait également un très bel écho à celle d’Assassination Nation en ouverture, le deux long-métrages se répondant par la sublimation de personnages tentant d’exister en dehors des clous d’une Amérique misogyne et raciste. Depuis les jeunes filles rebelles de l’Amérique banlieusarde jusqu’aux afro-américains des quartiers défavorisés d’Oakland, c’est finalement un même combat face au patriarcat et la suprématie blanche qui se dessine tandis que se dresse le portrait bienveillant d’une autre Amérique : jeune, rebelle et inspirée, et qui pourrait bâtir un avenir différent de celui qui semble promis par le capital triomphant.
Finalement, ce qu’on retiendra de cette 8eédition du PIFFF c’est peut-être que les films les plus réussis étaient ceux qui parvenaient à interroger le monde actuel avec perspicacité et humour, inscrivant leur critique acerbe dans un élan créatif et jouisseur. La révolte, c’est peut-être aussi le mouvement qui transforme un monde morne et déprimant en une explosion de créativité et de désir. Œuvres personnelles déguisées en blockbuster ou bricolées avec trois bouts de pellicule, ces films existent (trop) souvent dans les recoins de la production mondiale, à l’image des marginaux qu’ils mettent en scène. La révolution ne sera peut-être pas télévisée, mais elle passera assuremment par les salles obscures.