L'Etrange Festival 2018
La 24e édition de L’Etrange Festival s’est déroulée au Forum des Images du 5 au 16 septembre dernier et fut une nouvelle occasion de faire quelques très belles découvertes à la marge du tout venant cinématographique qui peuple trop sagement les multiplexes parisiens. Venues des quatre coins d’un monde décidément peu recommandable, les œuvres présentées cette année ont encore été le prétexte pour en explorer les multiples zones d’ombres, au cœur desquelles fleurissent une quantité toujours renouvelée d’obscures histoires et autres contes macabres. Ce festival, depuis de nombreuses années un rendez-vous incontournable des amoureux du mauvais genre, c’est toujours l’occasion de constater que la production mondiale déviante et marginale se porte bien, et que l’étrangeté au cinéma reste un écrin propice au développement et à l’expression des talents parmi les plus inspirés, et parfois même diablement inspirants.
Pépite(s) retrouvée(s)
L’une des grandes difficultés du festivalier qui tente de passer à l’assaut des salles obscures du Forum des Images pendant L’Etrange Festival est déjà de se concocter un itinéraire personnel et de choisir parmi une pléthore de films, entre nouveautés et classiques. Entre le désir de découvrir des nouveaux talents et prendre le pouls du cinéma de genre contemporain, et celui non moins pressant de plonger (ou replonger) dans des classiques souvent injustement méconnus, le choix est sommes toutes sacrément difficile et chaque édition porte en creux son lot de regrets, qui sont aussi et bien heureusement des pistes potentielles à suivre pour l’avenir. Cette année encore, il aura donc fallu prendre des décisions et laisser de côté des versants entiers d’une programmation toujours abondante, et c’est à contre cœur qu’auront été abandonnées une partie des rétrospectives au profit du cycle singulier consacré au travaux underground de toutes une génération de cinéastes japonais, qui se sont emparés du format 8mm au tournant des années 1980 pour dessiner en urgence le brouillon d’un large pan du cinéma nippon contemporain. Ce cycle un peu à part, en raison du format, du support et souvent de la nature des œuvres proposées, nous lui avons réservé un article spécifique, qui revient dans le détail sur un moment imparfait mais passionnant de la maturation d’un certain cinéma japonais dont L’Etrange Festival et TORSO partagent un profond amour. Pour compléter la lecture de cette review fleuve de L’Etrange Festival, n’hésitez donc pas à faire un détour par l’article consacré sur ce même site au cycle 8mm Hachimiri Madness.
Au sein des différentes œuvres de ce patrimoine oublié figurait également en bonne position l’injustement confidentiel Injun Fender, présenté par le directeur de L'Etrange comme rien de moins que l’une des projections les plus essentielles de l’histoire du festival ! L’unique long-métrage de Robert Cordier, ce film tourné à New York en 1972 est une plongée dans l’underground bouillonnant d’une époque désormais mythique dont le cinéaste belge fut un acteur de premier plan, associé souvent de très près aux noms les plus mythique d’une époque tels Andy Warhol, James Baldwin ou encore Salvador Dalí. Ce personnage haut en couleur, exceptionnellement présent au Forum des Images pour présenter son film en compagnie de sa chef opératrice et ancienne compagne Deidi von Schaewen, mériterait qu’un article entier (ou plutôt un roman fleuve) revienne sur un parcours à la limite du vraisemblable. Injun Fender est un témoignage furieux de la liberté créative et de l’élan vital et sauvage qui pouvait habiter une génération prise en étau entre l’euphorie orgiaque des sixties et la redescente morbide de la décennie suivante. Formé au théâtre et devenu depuis longtemps un directeur d’acteur reconnu et célébré, Robert Cordier accouche d’un film qui entretien des liens étroits avec le théâtre (sens de la troupe, unité d’espace de chaque séquence, goût prononcé pour les longues tirades et les monologues) tout en restant une proposition de cinéma radicale, à l’esthétique parfois presque expérimentale, et qui n’est pas sans rappeler la démarche iconoclaste de son contemporain d’alors John Cassavetes, dont Injun Fender pourrait être un double mauvais garçon, junkie et obsédé sexuel.
Avec l’icône du cinéma indépendant américain, Cordier partage aussi cette faculté de créer un espace d’expression libre, unique et radical pour ses comédiens, qui accouchent de performances d’une intimité rare et donnent une fausse impression d’improvisation là où (si l’on en croit les auteurs) tout est au contraire écrit et millimétré. Fender, le personnage titre qui partage son patronyme avec la fameuse guitare électrique, est une idole rock dont ni le talent, ni la gloire, ni l’argent, ni l’adoration des femmes ne lui permettent de se libérer de la tourmente qui est la sienne, expression d’une personnalité fragmentée entre égo de rock star, libido furieuse et un héritage amérindien dont le massacre incarne le crime séminal de l’Amérique blanche. Autant d’éléments qui alliés à son addiction à la drogue font de lui l’ultime marginal d’une ville cosmopolite aux allures de tombeau urbain. Elevé au rang de mythe, follement désiré et désirant, il se heurte au béton et à une réalité brutale qui finira par lui brûler les ailes, rattrapé et abattu par les représentant de l’ordre et de la morale, pour qui son existence est une aberration inexcusable. Enfant égaré dans une décennie de retour brutal à la réalité d’un monde matérialiste et désenchanté, au sein d’une ville qui fut l’un des symboles du rêve des sixties avant de devenir celui du cauchemar des années 1980, Injun Fender pourrait se résumer comme une passerelle perdue entre les cowboys cosmiques égarés du trip Easy Rider et le Driller Killer nihiliste d’Abel Ferrara ; sacrifice tragique d’un homme au devenir bestial, animal en quête d’humanité déchainée, inacceptable pour un monde qui rejette brutalement toute expression de liberté sauvage. Trop fou pour vivre, trop unique pour mourir, mais qui finira tout de même sa course folle criblé de balles au fond d’une ruelle, terminant son ascendance vers le statut de figure mythique d’un monde déjà disparu.
L’Art de la Guerre
À tout seigneur tout honneur, nous avons consacré un papier entier à l'excellent BuyBust, pépite du cinéma d'action philippin signée Erik Matti qui met à l'amende tous les actioners surcôtés qui nous arrivent régulièrement par voies festivalières. Pour en savoir plus sur ce film, rendez-vous sur l'article que nous lui avons dédié, car il méritait bien ça !
Autre grand seigneur, Killing marquait le retour attendu d’un grand apôtre du cinéma épileptique, le japonais Shin’ya Tsukamoto, auteur d’œuvres cultes telles le séminal Tetsuo, Tokyo Fist ou encore Bullet Ballet. Si le réalisateur, qui est aussi acteur (on l’a vu chez Kiyoshi Kurosawa et même chez Scorsese) et tient l’un des premiers rôles du film, s’est très largement assagi avec le temps, son goût prononcé pour la radicalité et la provocation sont toujours intacts. Le film de sabre – qu’on appelle aussi le chambara – est un rituel pour tous les grands cinéastes nippons, et l’impact du genre sur l’imaginaire cinéphile est tel que ses codes irriguent tout un pan du cinéma moderne, dont l’exemple le plus évident reste bien sûr le Kill Bill de Tarantino, admirateur autoproclamé du cinéma japonais à tendance hyperactive. À l’opposé du prisme de l’interprétation tout en outrance surréaliste des chambara récents d’un Takashi Miike, Tsukamoto choisi une approche minimaliste et épurée, dont le traitement s’impose comme une rupture profonde avec la dynamique habituelle du genre – soit une orgie de combat et de violence – pour renouer avec une approche quasi naturaliste et le propos pacifiste et anti-conventionnel d’œuvres plus anciennes comme le célèbre Hara-Kiri de Masashi Kobayashi (dont Miike avait justement livrée une interprétation moderne il y a quelques années).
Au-delà de son propos fondamentalement non-violent – l’histoire raconte le refus de tuer d’un expert du maniement du sabre, et la spirale sanguinaire causée par l’aveuglement meurtrier d’un maître d’armes qui vit selon les principes guerriers – le film peut se lire comme une dénonciation sans concession de l’imaginaire guerrier et de la violence des rapports humains et sociaux qui sous-tendent la société japonaise. En déconstruisant le mythe du samouraï glorieux et justicier, devenu ici celui par qui arrive la destruction, le malheur et la mort, Tsukamoto interroge frontalement les fondements de la culture japonaise et livre une œuvre profondément originale. Le raffinement de la mise en scène, qui confronte la grâce et le calme d’une nature luxuriante avec les explosions de violence qui viennent briser l’harmonie du monde, transcende cette fable pacifiste tragique qui restera comme l’un des temps forts du festival. La beauté presque douloureuse d’une nature qui se fait l’écrin de la pire tragédie, et la délicatesse avec laquelle est filmée le désespoir déchirant d’une femme qui a tout perdu à cause de la folie des hommes, font de Killing une œuvre profondément mélancolique, qui confronte la contemplation d’une beauté insaisissable avec les pulsions destructrices d’une civilisation machiste. La projection du court-métrage The Adventure of Denchu-kozo dans le cadre du cycle 8mm Hachimiri Madness proposait par ailleurs une nuance passionnante entre les débuts sur vitaminés de l’auteur et l’approche apaisée d’un vétéran qui n’a rien perdu de son anticonformisme, et rappelait si besoin en était encore le talent et la pertinence renouvelés de celui qui reste l’un des grands cinéastes japonais de ces quarante dernières années.
Le monde de demain
La science-fiction connaît depuis quelques années un regain de popularité, pour le meilleur et malheureusement trop souvent pour le pire. Remise au goût du jour par le succès d’un certain nombre de films à succès de qualité diverse, ainsi que de quelques séries qui voient dans l’avenir à long ou moyen terme un canevas idéal pour commenter un présent devenu lui-même une caricature de roman dystopique et s’interroger sur l’avenir d’une humanité qui paraît de plus en plus mal barrée. Le problème, c’est que lorsqu’elle n’est pas colonisée par l’ombre envahissante de la fantasy et celle carrément nauséabonde des super-héros, la SF contemporaine peine souvent à s’émanciper des illustres ainés qui lui donnèrent ses lettres de noblesse dans la seconde moitiée du 20e siècle, et posèrent les bases esthétiques des représentations de la ville du futur et des confins de l’espace. C’est peut-être en partie pour cela que les plus grandes réussites de la science-fiction récente s’ancrent dans un minimalisme formel et dans l’extrapolation d’une réalité dont il semble suffire d’exagérer légèrement les tendances dominantes pour plonger dans l’anticipation cauchemardesque.
Fort de ces leçons, le film autrichien Life Guidance semble s’être très largement inspiré de l’esthétique et du propos de la série anglaise Black Mirror pour nous annoncer que le futur, c’est maintenant, et que le projet totalitaire est déjà bien avancé. L’ennui, c’est que ce qui aurait pu faire un bon pitch pour un épisode de 50 minutes peine à remplir un long-métrage, et que le manque d’originalité flagrant du scénario et du traitement plombe rapidement le film, jusqu’à un final inepte et franchement paresseux. Il est ici question d’une bourgeoisie bien installée dans un quotidien aussi fade que confortable, qui entame une chute libre sociale apparemment arbitraire et se retrouve confrontée à une mystérieuse société supposée rendre la vie meilleure, sans vraiment laisser le choix de la méthode ni des résultats à ses clients forcés. Malheureusement, l’application systématique de la cinéaste Ruth Mader à peindre le tableau moche et dépressif d’un monde sans saveur peuplé de personnages insipides transforme le film en ce qu’il dénonce : un produit standardisé, esthétiquement déprimé et désespérément vain. Difficile en effet d’insuffler de la vie et une forme d’enthousiasme dans un film qui ne comporte aucun personnage suffisamment marginal, inadapté, ou romantique pour remettre véritablement en question l’ordre établi et l’uniformisation d’une société définitivement réduite en esclavage par le capital. L’intention était bonne, mais l’application très scolaire du long-métrage semble trahir un manque criant d’inspiration.
Dans un style différent, puisuqu'il puise son inspiration du côté de la science-fiction hard boiled des années 1980, Upgrade marque l'incursion du prolifique producteur Jason Blum dans le domaine de la SF. Avec un résultat mitigé, sur lequel nous revenons plus en détails dans l'article que nous lui avons spécifiquement consacré.
De l’ambition et du désir de singularité, Eddie Alcazar semble en avoir à revendre, mais le résultat est tellement désastreux et autosuffisant qu’il est difficile de saluer la radicalité de Perfect, premier long du producteur de Kuso, présenté l’an dernier à L’Erange (et dont l’auteur Flying Lotus signe ici la musique). Au détour d’un film pareil, on se pose une question : faut-il vraiment tirer à grandes rafales sur l’ambulance, et ne serait-ce pas une forme de délit narcissique que de balancer allègrement sur une œuvre qui a pour caractéristique principale d’irriter par sa bêtise et son manque de capacité autocritique ? Face à l’écran, au mieux on passe la séance hilare avec quelques copains et on gâche le film à tous ceux dans la salle qui auraient des goût radicalement différents (et heureusement, il y en a toujours), au pire on passe une heure et demie à hésiter entre un départ anticipé et une curiosité jusqu’au-boutiste. Ce qui est tout de même sidérant, c’est qu’un film qui se présente très sérieusement et avec une absence apparemment complète d’ironie comme un commentaire acerbe sur l’uniformisation des êtres se vautre aussi pleinement dans la pire esthétique qui soit : celle de la publicité pour parfum, du type de celles qu’on voit bien malgré soi en amorce des séances de cinéma, avec le programme complet de voix-off new age, de corps jeunes et parfaits alanguis dans la piscine d’une villa moderne surplombant une nature luxuriante, illustrant une tentative désespérée de nous vendre une forme d’exaltation cosmico sexuelle qui se cacherait derrière la surface polie de cette mort esthétique.
Et si d’aventure l’objectif était d’émettre une critique de cette imagerie publicitaire fascisante, il aurait été nécessaire de proposer autre chose qu’une copie qui s’y abreuve sans le moindre recul. C’est dommage car il y avait ici où là quelques idées assez étranges, en particulier ces mystérieux cubes transparents que le jeune éphèbe s’enfonce dans le corps, et qui laissent entrevoir que ces êtres en apparence parfaits ne sont plus vraiment humains, de même que le monolithe en lévitation qui sert d’horizon au film semble ne pas appartenir à notre monde. Malheureusement, le film donne vraiment l’impression d’avoir germé dans l’esprit de publicitaires en plein (bad) trip cocaïné et qui auraient oublié de se relire après la redescente… La comparaison avec le Primer de Shane Carruth proposée dans le programme du festival était d’autant plus déroutante que le cinéma de ce dernier s’inscrit comme une véritable antithèse du délire d’autocélébration masturbatoire que constitue Perfect – qui porte décidément bien son nom : celui d’un parfum cher, à la bêtise crasse et dénué d’ironie. En fin de compte, ce film et son titre nous rappellent involontairement au bon souvenir d’une séance culte gravée dans l’histoire de l’équipée TORSO, l’inepte et finalement très drôle Perfect Sense, avec sa dégustation de savon et sa disparition progressive du cinéma. La magie de l’aventure, c’est finalement peut-être que ces films-là aussi font partie de l’édifice, pour le meilleur et, argh, pour le pire.
La cité des enfants perdus
Difficile de classer au sein d’un genre précis L’Heure de la sortie, deuxième long-métrage de Sébastien Marnier, jeune réalisateur qui propose une interprétation plutôt originale d’un cinéma de genre hexagonal qui décidément connaît une période de renouvellement très intéressante ces dernières années. Plus proche de Ni le Ciel, ni la Terre que de Grave ou Revenge dans son approche à contre-courant du genre, le film propose une idée de passerelle entre cinéma français plutôt classique et approche d'inspiration anglo-saxonne du thriller surnaturel. Fraîchement débarqué dans un collège réservé à la petite bourgeoisie rurale, le professeur suppléant campé par Laurent Laffite se retrouve confronté à des gamins d’un milieu qui lui semble étranger (si peu de choses sont dites sur son background, on l’imagine plutôt issu d’un milieu urbain et d’une classe moyenne confortable mais relativement modeste) et qui vont devenir de plus en plus inquiétants à mesure que l’intru découvre les activités déviantes et les obsessions franchement morbides d’un petit groupe d’adolescents brillants mais à la limite de l’autisme. Le film passe allègrement du réalisme social au thriller tout en flirtant avec le fantastique sans jamais franchement s’y engouffrer, et se révèle finalement comme une fable d’anticipation exagérant à peine la réalité contemporaine.
La clé d’une interprétation pertinente nous est peut-être donnée dans la première partie du film, lorsque qu’une élève déclame devant ses camarades une citation du roman Sécheresse de James Graham Ballard, deuxième volet d’une série de quatre livres successifs qui annonçaient l’apocalypse climatique dès les années soixante. En citant Ballard, romancier visionnaire adapté au cinéma par Cronenberg et Spielberg (Crash, L’Empire du Soleil), le cinéaste place un indice lourd de sens et offre indirectement une interprétation à l’ultime scène, qui fait par ailleurs écho à la séquence finale de Take Shelter de Jeff Nichols, un autre film porteur d’angoisse apocalyptique et qui proposait le même type de conclusion ouverte et ambigüe. Malgré un certain nombre d’imperfections, notamment au détour de séquences maladroites et parfois un peu superflues (la course poursuite avec le bus notamment), L’Heure de la sortie est un film attachant qui fait figure de proposition singulière dans le paysage du cinéma français, explorant la piste d’un cinéma de genre hexagonal qui n’hésite pas à puiser son inspiration dans de multiples œuvre anglo-saxonnes tout en gardant une forte couleur locale (les choix de la France semi-rurale, d’un arrière fond social et d’un acteur issu de la Comédie Française en attestent). Reste à espérer que le film trouvera son public à sa sortie en salle le 19 janvier 2018, et que cette nouvelle génération de cinéastes dont fait partie Sébastien Marnier continuera de défricher les sentiers encore trop peu empruntés du cinéma de genre à la française.
Autre communauté, autre ton et autre style, le retour du duo Délépine-Kervern à L’Etrange semblait motivé par une fidélité et un état d’esprit plutôt que par la singularité d’un film qui était de loin le plus mainstream qu’on ai vu dans la sélection cette année, et qui n’avait en fin de compte rien de bien étrange à proposer. Disposant d’un capital sympathie élevé, le duo de cinéastes grolandais semble ronronner un peu dans sa formule, et si le discours politique de I Feel Good est finalement plus complexe qu’il n’en a l’air au départ, le concept tend à s’essouffler et se révèle un peu inoffensif. Bricolé avec trois bouts de ficelle et pensé comme un hommage à la communauté qui fait vivre le village Emmaüs de Lescar-Pau, I Feel Good fonctionne surtout, à l’image des films précédents du duo, grâce à l’engagement de comédiens au diapason – Jean Dujardin s’éclate dans un rôle sur mesure de ravi capitaliste en peignoir, Yolande Moreau fait du Yolande Moreau et le reste du casting est haut en couleur – et à un sens toujours juste du détail qui tue (souvent un accessoire ou une bonne idée visuelle), mais peine à donner de l’ampleur à son récit, qui s’ouvre tout de même dans une dernière partie en forme de road trip en direction des ruines du socialisme soviétique, et qui apporte un contre-point intéressant à l’hymne collectiviste de la première partie du film. Toujours à l’aise dans le registre du sketch et de la scénette, le duo de cinéastes peine à construire un ensemble homogène, et le film traverse des passages à vide qui renforcent cette impression d’œuvre un peu bancale. Le ton du film semble également dicté par la tension entre la propension du duo à l’humour noir et acerbe, et une volonté de mettre à l’image les membres d’une communauté à laquelle ils sont attachés. Et si c’est un peu les limites du projet, c’est aussi cette véritable bienveillance des cinéastes envers leurs personnages mais également vis-à-vis de l’endroit et ses habitants qui anime le film, commentaire nuancé sur le potentiel mais aussi les limites de la résistance collective face au monstre de bêtise capitaliste.
Horreurs polyglottes
Après le succès des Bonnes Manières (prix du public l’an dernier), le cinéma fantastique brésilien était méchamment de retour avec Nightshifter, dont le prétexte de comédie horrifique prend rapidement un tournant radicalement sombre et désespéré. Employé surmené d’une morgue constamment alimentée par la violence de la guerre des gangs locaux, un père de famille épuisé possède le don étrange de converser avec les cadavres. Grâce aux découvertes que ce talent mystérieux lui procure, il va fomenter un plan machiavélique contre sa femme et l’amant de cette dernière, très mauvaise idée qui va tourner à l’engrenage infernal et plonger le personnage principal et ses proches dans un véritable cauchemar éveillé. Si l’histoire, les personnages et la noirceur du récit rappellent parfois le cinéma souvent amoral de Stuart Gordon (et un peu plus proche de nous The Revenants de Kerry Prior), le réalisateur Jair Peres abandonne presque entièrement l’humour de ce dernier pour dérouler les fils d’un conte macabre d’une noirceur asphyxiante.
Au-delà du drame intime d’un homme qui détruit sa propre famille, le film déploie une vision particulièrement sombre du Brésil, pays déchiré par la violence où les morts s’entassent et où la vie peut être ôtée à chaque coin de rue. Cet ancrage réaliste (un demi-million d’assassinats au Brésil entre 2006 et 2016) donne une résonnance particulière à cette histoire surnaturelle qui met en route une contamination du réel par une force putride, comme si l’excès de cadavres faisait déborder l’enfer pour déverser les morts dans le monde des vivants, à l’image des morts-vivants de George Romero. La ville de Sao Paolo, capitale économique du pays, est ici présentée comme une étendue sans âme livrée à la violence et gangrénée par la mort, dont le climat anxiogène termine de transformer les esprits malléables en assassins malades. Le pari de prendre un type détestable pour personnage principal était risqué, et le film fonctionne grâce à un équilibre précaire entre la lâcheté criminelle du « héros » et sa volonté sincère de protéger ses enfants. En fin de compte, Nightshifter est une belle réussite qui trouvera sa place auprès des classiques de l’horreur urbaine, une bonne surprise venue d’un pays et d’un continent dont la cinématographie fantastique traverse une période de renouvellement très intéressante. Tristement, le portrait du pays peint par le film est d’une noirceur absolue, et semble autant un constat sans concession qu’une mise en garde pour l’avenir.
Autre exemple d’un cinéma d’horreur latino en bonne forme, le thriller fantastique argentin Meurs, Monstre, Meurs délaisse l’immensité urbaine pour les montagnes arides et un fantastique plus ésotérique qui lorgne ouvertement vers les horreurs indicibles héritées de Lovecraft. Si la mise en scène évoque l’ambiance poisseuse et la violence froide des thrillers coréens, le film d’Alejandro Fadel emprunte également un prétexte scénaristique à ses cousins asiatiques puisque l’on suit ici le parcours tortueux d’un enquêteur solitaire lancé à la poursuite d’un meurtrier insaisissable. Porté par une ambiance mortifère qui pourrait être une forme de réalisme magique morbide, le film bascule inexorablement dans le fantastique à mesure que se révèle une figure monstrueuse, incarnation d’une horreur mythique et forme de malédiction aux échos cosmiques.
Raconté comme depuis le bord d’un abîme d’espace temps sans fond ni espoir de retour, le récit se tisse par fragments jusqu’à un final nocturne à l’ambiance d’apocalypse, où les traqueurs deviennent traqués par une créature surgie des cauchemars les plus insoutenables, mais qui semble aussi incarner les pulsions inavouables et refoulées d’une humanité damnée. Porté par une belle ambiance fantastique couplée à un naturalisme de polar très noir, le film loupe malheureusement son final en ne résistant pas à la tentation de montrer (beaucoup trop) une créature dont la forme apparaît comme une métaphore un peu grossière, donnant à cette histoire de monstres pas banale un goût de série B qui aurait pu être sympathique, s’il ne venait pas annihiler une partie de l’aura cosmique de cette horreur jusque-là savamment distillée et habilement suggérée. Peut-être aurait-il mieux valu suivre l’adage éculé mais toujours pertinent qui veut qu’en matière de fantastique, c’est souvent lorsque l’on en montre le moins qu’on obtient les meilleurs effets. Finalement, la conclusion du film semble souffler au spectateur une interprétation originale du titre, qui serait que le monstre, c’est peut-être avant tout le grand singe qui domine le monde.
Autre continent, et une même volonté d’aller chercher les terreurs inavouables enfouies au plus profond des campagnes, le premier long-métrage d’Abdelhamid Bouchnak est un aussi une invitation à cdécouvrir ce que le cinéaste appelle lui-même un premier essai de cinéma fantastique musulman. Tourné en Tunisie avec des acteurs locaux, et composé de dialogues qui passent allègrement du français à l’arabe, Dachra est une première œuvre ambitieuse et imparfaite, mais très sympathique et finalement plutôt réussie. Bien décidé à livrer un pur film d’horreur, d’Abdelhamid Bouchnak puise dans nombre de références explicites sans pour autant s’enfermer dans la collection de citations, et offre quelques vrais beaux moments horrifiques. Empruntant son point de départ au Projet Blair Witch (sans pour autant se tourner vers le dispositif éculé du found footage), Dachra raconte l’histoire des trois jeunes étudiants en journalisme qui décident de réaliser un documentaire sur le cas mystérieux d’une femme démente retrouvée de nombreuses années auparavant aux abords d’une forêt. Inévitablement, leur enquête va les amener à pénétrer dans les épaisses forêts de l’arrière pays tunisien, pour bientôt découvrir un village isolé dont les inquiétants habitants semblent faire une fixation malaisante sur la viande rouge.
La bonne idée du cinéaste est de ne pas se cantonner à un seul registre, et le film passe peu à peu du fantastique anxiogène à une horreur naturaliste directement héritée de Massacre à la Tronçonneuse (on pense également parfois à Martyrs). Régulièrement rattrapé par son enthousiasme, le film montre quelques faiblesses narratives (en particulier dans une dernière partie qui veut trop en raconter sur le background des personnages) et formelles, avec notamment quelques jump scares maladroites, mais c’est peut-être l’expression d’un langage cinématographique pas encore complètement maîtrisé par un réalisateur débutant qui œuvre au sein d’une industrie encore jeune. Ces quelques errances sont rattrapées par une ambiance macabre et sordide à souhait qui mêle légendes héritées du folklore local et références aux classiques du cinéma d’horreur, en particulier américain. En fin de compte, Dachra est une belle découverte et donne envie de suivre les évolutions du cinéma d’horreur tunisien, qui possède désormais un film référence et des bases solides sur lesquelles bâtir de nouvelles histoires cauchemardesques.
Beaucoup moins convaincant, Dukun arrivait avec la réputation sulfureuse de film longtemps interdit dans son pays d’origine, histoire de malédiction et de meurtres en série inspirée d’un fait divers authentique ayant secoué la Malaisie. Curieux destin que celui de ce film tourné en 2006 et banni pendant 11 ans, qui a refait surface récemment suite à un buzz lancé sur les réseaux sociaux. Cette genèse singulière enrobe le long-métrage d'une aura culte qui se revèle malheureusement infondée à la vision de l'objet remastérisé à la sauce 2018. En outre, les intentions du cinéaste Dain Said sont desservies par une mise en scène mal maîtrisée et un casting à côté de la plaque qui oppose une sorcière sexy à un procureur sans charisme. Le manque de substance des personnages principaux rend difficile l’intérêt pour cette histoire dont les fils se démêlent de manière parfois anarchique, et la terreur recherchée n’accouche que d’un relatif désintérêt, le film étant largement plombé par une multitude de fausses bonnes idées de mise en scène (les gesticulations possédées de la sorcière dans sa cellule, un longue et pénible plaidoirie face caméra, entre autres maladresses), un scénario mal fichu et un manque de rythme au montage qui donne l’impression que le métrage est interminable. Dommage, car on sent qu’il y avait vraiment quelque chose à faire avec cette histoire macabre, d’autant plus perturbante qu’elle serait inspirée d’une horreur bien réelle. En l’état, le film ne vaut pas vraiment le détour.
Horror trips
Précédé d’une réputation flatteuse acquise au fil de projections dans divers festivals, Luz intriguait en promettant une expérience stylisée et extrême, voire carrément flippante. Le résultat est finalement en demi-teinte, la belle mise en scène de l’allemand Tilman Singer retombant à plat au bout d’un premier long-métrage qui passe son temps à faire monter la tension sans jamais atteindre l’orgasme sensoriel ni l’apothéose horrifique qu’il semblait annoncer. Quelque part, on pourrait résumer le film comme une rencontre entre le projet horrifique du Prince des Ténèbres de John Carpenter et le fantastique conceptuel de l’ovni SF Under The Skin, second film de Jonathan Glazer qui avait fait pas mal parler de lui il y a quelques années et auquel on pense beaucoup ici. L’histoire, faussement simple, est celle de l’interrogatoire d’une jeune chauffeuse de taxi chilienne débarquée mystérieusement dans un commissariat allemand, et dont le récit des événements d’un passé plus ou moins récent va peu à peu contaminer l’environnement qui l’entoure et les personnes qui se trouvent dans la pièce.
Une grande partie de la (semi) réussite du film réside dans la maîtrise des effets de mise en scène – avec une volonté appuyée de générer un mystère toujours plus épais avec très peu d’éléments de décor – et le magnétisme de son actrice principale, qui donne corps à un personnage ambigu dont la nonchalance affichée semble masquer un puit de terreurs refoulées. L’ennui est que cette démarche d’hyper stylisation révèle peu à peu un manque flagrant de substance narrative, et le film fini par rapidement tourner en rond autour d’un mystère qui s’épaissit sans jamais vraiment prendre corps, et dont on fini par se désintéresser à force d’effets visuels brillants mais vains. C’est vraiment dommage car la première partie de Luz est vraiment prenante et l’on sent qu’il y avait quelque chose de beaucoup mieux à faire avec ce projet porté par la révélation de talents bruts aussi bien derrière que devant la caméra. Peut-être aurait-il tout simplement été plus efficace que le cinéaste délaisse un peu son fétichisme et ses effets de mise en scène pour ancrer son imagerie dans une figure tutélaire du fantastique, afin de susciter un effroi certes tourné vers l’abstraction, mais enraciné dans les mythes autour desquels ne cessent de se tisser et se détisser nos terreurs les plus fondamentales (le diable dans le Carpenter, l’alien chez Glazer). Reste la promesse de talents certains dont on suivra avec attention les prochains essais.
L’un des grands moments WTF du festival, voire de l’année, aura été la découverte de Mandy, cauchemar psychédélique de Panos Cosmatos, cinéaste qui avait déjà marqué les esprits il y a quelques années avec son étrange et radical Under The Black Rainbow. On imagine aisément qu’une partie des spectateurs puisse détester ce nouvel essai, porté par une esthétique colorée et sur-référencée, et un scénario carrément en roue libre. Pourtant, si on était en droit de craindre le pire dès les premières secondes du film, on sera finalement convaincu par cette plongée hystérique dans un cauchemar aux échos cosmiques qui puise sans vergogne dans un catalogue hétéroclite d’imageries kitch (avec un penchant très marqué pour les années 1980) et qui pourrait se regarder comme une variation totalement désinhibée et furieusement hallucinée de l’horreur rock à la Rob Zombie (le tour de train fantôme devenant ici un allé simple pour un outre-monde apocalyptique).Le véritable coup de génie de Panos Cosmatos, outre le tour de force visuel que représente le film, est peut-être d’avoir su convaincre la star Nicolas Cage de venir se greffer à un projet aussi outrancier. L’acteur est en freestyle complet et livre une des prestations ahuries dont il est l’un des rares acteurs capables, se livrant avec un excès à la limite du burlesque à une plongée dans une rage désespérée et hystérique.
L’autre grande qualité du film est de se payer le luxe d’une très longue première partie tout en montée de tension sourde et d’angoisse latente, qui culmine en une scène terrifiante de violence gratuite avant que le long-métrage ne bascule dans l’épopée vengeresse d’un homme brisé par la haine et la douleur, en route pour l’enfer à la rencontre d’un underworld haut en couleurs. Autant le dire, Mandy est le genre de film qui suscitera des émotions vives, du rejet total à l’adhésion enthousiaste, sans laisser vraiment de place à la demi-mesure, à l’image d’un projet volontairement jusqu’au-boutiste qui est autant un grand fuck au bon goût qu’une célébration d’un imaginaire débridé nourrit à tout ce que la pop culture peut avoir de très mauvais genre. Par la multiplication des effets, Cosmatos parvient à créer un univers singulier et envoutant, cauchemar codéiné aux accents pourpres qui commence telle une montée lancinante jusqu’à atteindre des sommets d’hystérie furieuse. Le monde, avec tout ce qu’il a de plus banal, semble ainsi l’antichambre d’un envers dont seraient prêts à surgir des démons semi-humains, inscrivant le film dans un héritage pop qui tient autant à Lovecraft qu’à Clive Barker ou Philippe Druillet (le premier étant en outre un influence majeure des deux autres). Les profondes forêts du Nord-ouest canadien deviennent ici le décor sublimé d’une plongée dans un océan de cauchemars, avec comme guide un Nicolas Cage halluciné, drogué, dévoré par la rage et lancé à pleine vitesse sur les routes de l’enfer tel un chevalier vengeur.
Pour terminer, nous reviendrons sur Utøya, 22 Juillet, film singulier du norvégien Erik Poppe consacré aux attentats qui secouèrent son pays il y a un peu plus de sept ans. Cet événement tragique, qui a fait plus de 70 morts, a marqué un tournant dans l’histoire de la Norvège, société jusque-là considérée comme particulièrement sûre et tolérante, épargnée par la violence et la fracture sociale de nombreux pays occidentaux. Alors que vient tout juste de se terminer le procès très médiatisé de l’auteur du massacre, s’atteler à un film sur le sujet était donc forcément un pari hautement risqué. Pour relater ces événements traumatiques dont les plaies sont encore béantes, Erik Poppe a choisi un dispositif risqué : le plan séquence. Le film va ainsi s’attacher à suivre en temps réel une jeune fille (Andrea Berntzen) piégée sur l’île et dont l’obsession va être de retrouver sa sœur cadette, tout en essayant de survivre au massacre. Inspiré de témoignages de victimes, le long-métrage se veut une immersion hyper réaliste au cœur de l’attentat en même temps qu'un hommage aux victimes et une mise en garde contre la montée de l'extrême droite en Europe. Le dispositif de mise en scène s’attache ainsi à faire ressentir la durée de l’attentat : le film commence une dizaine de minutes avant le début de l’attaque et se termine alors qu’elle est sur le point de prendre fin. Utøya, 22 Juillet est une expérience intense, éprouvante et qui n'épargne que peu de choses au spectateur. Cependant, rien ne semble montré gratuitement et si voyeurisme il y a – car comment éviter le voyeurisme lorsqu’on s’attelle à un sujet qui éveille autant de curiosité et possède un tel pouvoir de fascination morbide – c’est pour replacer l’événement dans un contexte réaliste et faire office de geste cathartique.
Inscrire le film dans le temps « réel » de l’événement, c’est aussi une manière de placer au centre d’un sujet dont nous parviennent encore et toujours les échos à travers un bombardement médiatique qui attise la peur et la fascination tout en déréalisant les faits. À ce titre, ancrer la représentation du drame dans la durée apparaît comme une manière de rendre à l’événement sa temporalité et son aspect tangible. Le film dialogue avec la réception des attentats à travers les médias, d’abord en nous montrant les jeunes suspendus à leurs téléphones cellulaires pour obtenir un maximum d’informations sur l'explosion qui vient de se dérouler à Oslo, puis en faisant soudain surgir l’événement devant eux. Ainsi, c’est notre place de spectateur passif de ces multiples événements tragiques qui est sollicitée, on a le temps de s’identifier à ces jeunes suivant avec anxiété l’arrivée quasiment en temps réel des informations avant d’être plongé brutalement avec eux dans la réalité de la violence. Par ailleurs, le film rappelle qu'il est difficile de faire sens de ce qui se déroule pour ceux qui se trouvent au cœur de l’attaque. Alors qu’on est habitué à recevoir les informations après coup, on réalise qu’au cœur de l’horreur, c’est l’incompréhension, voire la paranoïa qui prime. Ainsi, les jeunes sont au départ persuadé de subir l’attaque d’une multitude de tueurs, et lorsque les premières informations parviennent que le tireur est habillé en policier, ils commencent à élaborer des théories complotistes. On réalise alors qu’une grande partie de l’expérience des victimes est déterminée par le doute, l’incompréhension face au drame qui se joue, et c’est aussi une réflexion sur la propagation parfois anarchique de l’information immédiate, qui peut facilement induire en erreur.
Enfin, le film dialogue inévitablement avec le cinéma d’horreur dans ce sens que ce qu’il montre, ou plutôt ce qu’il ne montre pas, et la manière dont il le fait rappelle forcément certaines scènes vues et revues dans le contexte très différent du slasher ou du survival. On avait auparavant eu de nombreuses occasions de voir un tueur anonyme traquer des adolescents dans la forêt, ou bien une jeune fille mourir dans les bras d’une autre, mais la contextualisation de ces éléments dans le cadre de la reconstitution réaliste d’un événement historique encore récent modifie complètement la portée et la réception des images, et offre une réflexion sur la nature même du cinéma comme art de la représentation du réel. Expérience profondément troublante, Utøya, 22 Juillet propose un dialogue sur la relation du cinéma au monde, interpellant brutalement le spectateur par la radicalité et l’intensité parfois presque insoutenable des multiples émotions qu’il procure. Une certaine idée du cinéma comme réveil face à la somnolence anesthésiée du monde, et comme élan vital opposé à la réalité terrifiante de l’horreur moderne. Un projet plutôt osé et ambitieux pour un résultat qui en rebutera certains, mais qui ouvrira aux autres un large spectre de réflexion sur le pouvoir des images et le rapport du cinéma au réel.
Après un tel marathon, nous pouvons faire un bilan positif d’une édition hétérogène, qui démontre une nouvelle fois que l’idée d’un certain cinéma « autre » se porte bien, que les auteurs du monde entier osent produire des œuvres radicales, engagées et engageantes malgré les difficultés financières mais aussi parfois politiques qu'ils rencontrent. Ce cinéma de « l’étrange » est avant tout un cinéma profondément sincère, souvent dégagé de trop pesantes considérations économiques, qui se peaufine dans les limites de budgets réduits mais avec la liberté des auteurs fauchés. Un cinéma de passionnés qui travaillent à la marge du tout venant, force de proposition pour regarder le monde autrement, inspecter ses recoins les plus sombres, et tenter de s'y confronter.