Dernier grand rendez-vous de l’année festivalière avant le plongeon définitif dans l’hiver parisien, la 7e édition du PIFFF a offert aux amateurs de cinéma de genre un dernier bon shoot d’adrénaline pour conclure ce qui aura été une belle année de cinéma déviant. Dans une très belle ambiance et une superbe salle parisienne mythique, l’équipe du festival nous a offert une programmation riche et (de plus en plus) éclectique, nous réservant au détour d’une ou deux projections certaines des plus belles surprises filmiques de l’année, juste à temps avant de faire le bilan des douze mois écoulés.

Plébiscité par les programmateurs du PIFFF, le Japon était bien représenté en compétition comme dans les sélections parallèles. Dès le premier soir, on aura ainsi pu découvrir le centième (!!!) film de Takashi Miike en séance hors compétition, la fresque médiévale Blade of the Immortal (à noter qu’un autre film de Miike était projeté le mardi soir, preuve que le cinéaste n’est pas prêt à ralentir le rythme effréné qui est le sien depuis bientôt trois décénies). Découvert à Cannes au printemps dernier et adapté du manga culte L’Habitant de l’Infini, le long-métrage s’inscrit dans la tradition du chambara pulp, ces films de sabre qui abandonnent le réalisme épique pour une explosion de violence surréaliste (et inspirèrent notamment le Kill Bill de Tarantino). Dans la mesure où les dernières livraisons de Miike nous avaient plutôt déçu et ennuyé, ce film représente un beau retour en forme du cinéaste qui semble prendre un grand plaisir à illustrer l’épopée du duo mal assorti entre un rônin maudit et une orpheline vengeresse. C’est à la fois la qualité et la limite de Blade of the Immortal que de n’avoir d’autre ambition que d’illustrer ce récit épisodique parsemé de multiples combats tous plus outranciers les uns que les autres, les enjeux dramatiques du film étant assez peu lisibles tandis que la quasi immortalité du personnage principal relativise un peu l’enjeu des confrontations. Ce dernier aspect plutôt singulier qui mêle film de sabre et fantastique apporte cependant une touche d’originalité à la structure des combats, puisque loin d’être un guerrier invincible à la Lone Wolf Cub, l’immortel en question se fait régulièrement embrocher et découper, et ne doit finalement sa survie qu’à cette malédiction qui l’oblige à errer à travers les époques à la manière d’un highlander nippon. L’idée la plus intéressant du film étant qu’en contre-point au massacre de centaines de guerriers, la véritable ambition du personnage principal n’est finalement que de pouvoir enfin trouver le repos éternel qui lui est refusé.

blade miike 2

Beaucoup plus intimiste, la surprenante comédie dramatique Survival Family, écrite et réalisée par Shinobu Yagushi (Waterboys, 2001), confronte une famille tokyoïte à un blackout total qui va remettre en jeu tous les repères de leur existence blasée. La gigantesque panne qui arrête brutalement l’ensemble des outils technologiques (des voitures aux smartphones en passant par les ascenseurs) en même temps que l’effervescence productiviste de la société japonaise pousse le quatuor à prendre la route à vélo, direction la campagne pour retrouver un grand-père et la promesse d’une survie possible indépendamment des contraintes de la vie moderne. Car l’effondrement de la technologie entraîne une rapide disparition de l’eau potable (plus de courant dans les stations d’épuration qui deviennent inutiles) et de l’approvisionnement en nourriture, ainsi que de toutes les conveniences rassurantes (mais aussi aliénantes) de la vie moderne. La famille va ainsi devoir se serrer les coudes et réapprendre à interagir avec son environnement immédiat : d’abord faire le tri des produits encore utiles à la survie dans les rayons dévalisés des supermarchés, ensuite apprendre à identifier les plantes comestibles sur le bord de la route, puis enfin revenir aux pratiques traditionnelles comme le travail à la ferme et la pêche. Mais toute l’intelligence du film est de ne pas limiter son propos à un simpliste éloge du retour à la terre, l’objectif de l’épreuve n’étant pas tant de rejeter la modernité que de renouer avec un sens de la famille au sein de la communauté… Le film prend la forme d'un road movie initiatique au cour duquel vont se retisser des liens familiaux dissolus au fur et à mesure d'épreuves aux conséquences parfois tragiques. Et si le cinéaste choisi de traîter son sujet sur le ton de la comédie, on est jamais loin de basculer dans le drame, le film empruntant une ligne plutôt originale : l'incertitude face à la tournure que vont prendre les événements, la possibilité de basculer brutalement du récit d'aventures rocambolesques à la tragedie humaine crééent un sentiment de vulnérabilité qui fait écho à la stabilité toute relative d'une société entièrement dépendante d'une technologie qui pourrait un jour cesser soudainement de fonctionner. 

survivalfamily

A l’intimisme nucléaire de Survival Family répondait le gigantisme d’un film de clôture annoncé en grandes pompes et inédit sur les écrans français, signant le retour du monstre géant le plus célèbre de la pop culture japonaise. Shin Godzilla est le fruit du travail de deux personnages essentiels du cinéma japonais : Hideaki Anno, le créateur de l’animé culte Evangelion, co-réalisant le film aux côtés du maître des SFX Shinji Higushi. Le premier constat est que ce kaiju-eiga nouvelle génération est une superbe réussite visuelle. La créature va ainsi passer par plusieurs stades de mutation, ressemblant d’abord à une sorte de têtard en souffrance avant de prendre la forme plus familière du gigantesque lézard bipède détruisant tout sur son passage. Dès le départ, le long-métrage oppose la puissance de destruction anarchique et imprévisible de Godzilla à la bureaucratie alambiquée du gouvernement japonais. Ce qui constitue souvent une faiblesse structurelle des films catastrophes – l’absence d’un personnage principal au profit d’un défilé de responsables interchangeables – devient ici un propos central : c’est l’incapacité des différents responsables à prendre des initiatives individuelles et la nécessité quasi-maladive d’arriver à des décisions collégiales qui apparaissent comme le premier obstacle à une tentative de résolution de la crise. La première partie du film est ainsi une mise en parallèle des circonvolutions souvent absurdes d’une administration complètement dépassée avec l’avancée cataclysmique du monstre.

Shin Godzilla s’impose comme un exemple rare de film catastrophe à portée politique, qui interroge les disfonctionnements du système japonais mais également l’ingérence américaine qui se déploie avec le consentement des Nations Unies. A ce titre, le véritable climax du film arrive à mi-parcours lorsque les américains décident d’intervenir et bombardent la créature (et le cœur de la ville de Tokyo) dans une séquence apocalyptique qui restera comme l’un des spectacles les plus sidérants vu sur grand écran en 2017. Sans surligner leur propos, les auteurs se montrent très critiques envers une communauté internationale qui n’hésite pas à condamner la ville de Tokyo afin de protéger l’occident d’une possible menace nucléaire. La seconde partie du long-métrage s’avère beaucoup moins intéressante et consiste surtout en une illustration parfois laborieuse de la mise en place de l’effort national qui incarne le dernier espoir japonais de résolution unilatérale de la crise. Le film embrasse alors un patriotisme un peu simpliste qui exalte l’esprit de collaboration nationale et désigne naïvement une poignée de jeunes gens ambitieux issus des élites politiques et économiques comme le grand espoir d’un renouveau de l’identité japonaise. Cette critique de la classe dirigeante qui débouche sur une exaltation de son propre renouvellement a de quoi surprendre et décevoir, mais on aurait tort d'analyser le film selon un schéma de compréhension strictement occidental. Fabriqué pour le grand public japonais (le film a rencontré un grand succès public au Japon) Shin Godzilla interroge les fondements de la société japonaise moderne – son pacifisme constitutionnel, sa dépendance à l’occident, sa résilience face aux désastres environnementaux – et choisit finalement d’opter pour un optimisme que la fin ouverte du film veut tout de même prudent. Le long-métrage fait bien sûr également écho au désastre de Fukujima et la radioactivité du monstre joue un rôle important dans le scénario : loin d’être anecdotique, la découverte de l’origine humaine du monstre rappelle que ce sont les activités irresponsables des êtres humains qui sont la cause directe ou indirecte des menaces les plus cataclysmiques, et que c’est nécessairement dans ces origines qu’il faut chercher des réponses et des solutions. En filigrane du spectacle impressionnant de ses effets spéciaux et de superbes scènes de destruction massive, Shin Godzilla développe un propos complexe et de nombreux niveaux de lecture qui font du film une très belle réussite, et probablement de loin le meilleur blockbuster réalisé depuis des lustres.

shingodzilla

Très représenté, le cinéma américain nous aura laissé une impression très mitigée, trop peu de films surnageant au-dessus des tendances à la hipstérisation problématique ou à la débilisation profonde du cinéma fantastique, beaucoup d’auteurs semblant se sentir obligés de jouer systématiquement la distance ironique pour montrer qu’ils valent mieux que le genre qu’ils exploitent, ou bien carrément tomber dans le cliché d’un cinéma d’exploitation bête et méchant. Incarnation caricaturale de la première catégorie, A Ghost Story était projeté en séance d’ouverture après avoir fait beaucoup parler de lui dans divers festivals de France et d’ailleurs. Si le texan David Lowery (qui mène une carrière intrigante en forme de grand-écart entre le cinéma Sundance et l’animation Disney) aborde un certain nombre de thèmes fascinants d’une manière plutôt originale, il se vautre malheureusement dans les pires clichés d’une petite bourgeoisie américaine qui s’ignore et filme des personnages tellement irritants dans ce qu’ils incarnent qu’on a du mal à ressentir la moindre empathie pour les drames pourtant terribles qu’ils traversent. Pour un film ayant l’ambition de sonder la résonnance cosmique de la finitude humaine, une telle incapacité à peindre autre chose que des personnages marmonnant des banalités à la vacuité sidérante est pour le moins problématique, la superficialité du film se révélant dans toute son ampleur lors de l’unique scène bavarde à l’occasion de laquelle un trentenaire ivre et blasé déclame un monologue sur le sens de la vie dont la fausse ironie et le vrai premier degré s’approchent dangereusement de la parodie. C’est d’autant plus dommage qu’il y avait quelques très belles idées esthétiques (les déambulations du fantôme dans un espace-temps dilaté aux résonances vertigineuses) qui resteront sous-exploitées et gâchées par cette volonté trop marquée de singer le mysticisme texan à la Malick et de ne voir le monde que par le prisme narcissique d’une génération devenue récalcitrante à sonder les mystères de l’univers au-delà d’entre les quatre murs de son petit monde intérieur. Une nouvelle preuve que le cinéma de genre s’acclimate très mal à la distanciation ironico-cool propre à la gentrification de la culture alternative.

Autre produit mal-fagoté aux forts relents hipsters, mais dans une version DIY littéralement de carton-pâte, Dave Made A Maze ruine très rapidement son capital sympathie de petit film bricolé et tordu, et n’exploite jamais le potentiel surréaliste d’un pitch qui ouvrait pourtant à tous les possibles. Dave a donc fabriqué un labyrinthe en carton dans son salon et s’y est perdu tel une Alice au fond du terrier, et sa compagne un peu paumée va s’entourer d’une bande de copains pas très vifs pour tenter de partir à sa recherche. L’ennui est que, passé le design plutôt sympathique des décors, l’ensemble manque terriblement de profondeur. Les personnages sont tous très artificiels et l’accumulation de seconds rôles transforme ce qui aurait pu être une quête intimiste en un film chorale dont chaque individualité semble interchangeable (à l’exception de la compagne précitée, vrai personnage principal du film tragiquement sous-exploité et réduit bien trop vite à un rôle de sparring-partner du personnage titre). D’autre part, le concept du labyrinthe devenu organisme autonome se transforme trop vite en une succession de décors répétitifs et, scène après scène, on ne voit jamais rien d’autre que des acteurs filmés sans génie (la mise en scène du film rappelle l’esthétique télévisuelle des sitcoms) dans une succession de décors qui peinent à dépasser le stade du gimmick... A trop vouloir jouer le second degré, le cinéaste inhibe également toute possibilité d’enjeu dramatique (qu’est-ce que la mort lorsque le sang n’est fait que de confettis ?) et l’inclusion d’une équipe de tournage de fortune dans le groupe ne fait que renforcer cette impression de facticité : la mise en abîme ne fonctionne à aucun moment et condamne le procédé à surligner inutilement chaque séquence, renforçant encore le sentiment de superficialité de l’ensemble. En fin de compte, Dave Made A Maze semble avoir été écrit à la va-vite et n'exister qu'en un prétexte à l’inclusion de quelques idées de mise en scène, formant finalement un long-métrage qui peine à exister au-delà de son intriguant concept initial.

davemadeamaze

Revers malheureux de la tendance à une pseudo intellectualisation complexée du cinéma fantastique, l’impulsion à se jeter toutes voiles dehors dans une vulgarité débridée qui confond trop souvent provocation et bêtise crasse. A ce titre, Mayhem restera comme l’un des objets filmiques les plus navrants croisés cette année, se hissant au rang des films dont le visionnage est une leçon par le menu de toutes les erreurs à ne pas commettre lorsque l’on tente de réaliser un film de genre. Le pitch du film aurait pourtant pu hisser ce dernier vers des sommets de subversion digne du High Rise du romancier J.G. Ballard (à ne pas confondre avec sa navrante adaptation ciné sortie en 2016), mais le carnage et l’orgie annoncés par la présence en huit-clos d’un virus « faisant perdre toute inhibition aux infectés » sont rapidement remplacés par un jeu de massacre sans queue ni tête à la méchanceté gratuite. Col blanc idiot dont le seul moteur est de se venger du licenciement qu’il vient de subir, le héros infecté du film ne perdra donc jamais vraiment le contrôle mais va massacrer toutes les personnes qui se trouvent sur son chemin afin d’atteindre le dernier niveau de l’immeuble de la firme corrompue qui l'emploie et son big boss qui n’est guère plus qu’un accro à la cocaïne, s’attachant au passage les services d’un sidekick féminin totalement superficiel dont l’unique raison d’être semble sa plastique et la possibilité d’une scène de sexe franchement peu désinhibée. Ecrit à la truelle, réalisé avec les pieds et tentant de cacher sa vacuité derrière une pseudo morale réactionnaire, Mayhem est donc un film à éviter.

Entre les postures poseuses et la débilité pure et simple, il existe bien heureusement une troisième voie, celle d’un cinéma de genre authentique qui n’éprouve pas le besoin compulsif contemporain de prendre une distance ironique avec son sujet, sa forme et ses personnages. The Endless s’inscrit dans cette tradition d’un bis bricolé et enthousiaste qui entretien un rapport sincère avec ses influences et développe humblement un univers singulier. Dans la mesure où le précédent long-métrage de Justin Benson et Aaron Moorhead (Spring, primé au PIFFF en 2012) nous avait franchement déplu, la découverte du film aura été une vraie bonne surprise. Cette fois, les deux réalisateurs américains parviennent à construire un petit monde étrange et cohérent, parfois très foutraque mais aussi très attachant et qui fait de The Endless un vrai film de festival de cinéma fantastique, le genre de curiosité bricolée qui fait qu’on continue à se déplacer religieusement dans ce type d’événement à la marge de la cinématographie traditionnelle. Difficile cependant de parler de l’histoire sans trop déflorer un film qui fonctionne beaucoup sur l’ambiguïté et le mystère, on se contentera donc de dire que les deux compères se sont donnés les rôles principaux (et ils sont plutôt bons acteurs) de deux frères paumés qui reviennent sur les traces de leur passé, à la rencontre des membres d’une étrange secte au sein de laquelle ils ont passé une partie de leur enfance avant de mettre les voiles sous l’impulsion de l’aîné. Etrange objet dont il serait dommage de trop en dire, The Endless est conseillé à tous les amateurs de séries B fantastique bien ficelée dont le charme sait faire oublier les imperfections.

endless 2

Plus convenu dans sa forme comme dans son propos, le gothique victorien de GOLEM, le tueur de Londres s’avère plutôt efficace sans forcément convaincre outre-mesure. Un peu trop lisse et appliqué, le film de Juan Carlos Medina est bien plus réussi dans sa peinture de l’univers très spécifique des artistes de music hall du XIXe siècle (aussi populaires auprès du petit peuple qu’artistiquement méprisés et sans le sous) que dans le suspens qu’il peine à construire autour d’une enquête criminelle aux multiples rebondissements. La reconstitution des faubourgs peu fréquentables de Londres est plutôt convaincante et c’est avec intérêt qu’on découvre le parcours de la jeune Lizzie Cree (Olivia Cooke), fille de la rue qui deviendra une vedette de la scène avant d’être accusée du meurtre de son époux. Du reste, toute la partie centrée sur l’enquête criminelle censée identifier un tueur sanguinaire calqué sur le modèle de Jack L’éventreur est beaucoup moins intéressante et le suspens exagérément étiré qui sous-tend les enjeux dramatiques du film s’avère finalement très superficiel. Plutôt que le thriller attendu, c’est l’aspect romanesque du film qui séduit donc, mais l'ensemble manque tout de même cruellement de singularité stylistique pour proposer plus qu'un sympathique moment de divertissement bien vite oublié.

L'un des retours très attendus par notre rédaction était celui de l'innénarable Trent Haaga, figure trop méconnue du cinéma d’horreur californien auquel TORSO avait consacré un dossier entier (et une passionnante interview) dans son numéro 10. Auteur d’excellents scripts pour les autres (le très noir Deadgirl et le remarqué Cheap Thrills), réalisateur d’un premier long plutôt honnête (Chop, 2011), ce pur produit de la Troma s’offre avec 68 Kill une première expérience avec la double casquette de scénariste et réalisateur pour narrer l’errance chaotique d’un looser trimballé de femme fatale en folle sociopathe. Si la perspective d’une nouvelle détonation nihiliste signée Haaga (l’homme n’a jamais fait dans la concession et encore moins dans le happy end) était franchement enthousiasmante, le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur de nos attentes, le film étant problématique à plusieurs niveaux. Il y a tout d’abord l’évidence d’un scénario mal ficelé qui se limite à un jeu de massacre sans véritable enjeu dramatique et repose sur la figure centrale d’un pauvre type insipide qui peine à générer de l’empathie. Présenté comme un commentaire acerbe sur les relations entre hommes et femmes, le film se contente pourtant d’introduire des personnages tous plus médiocres les uns que les autres avant de les abandonner rapidement sur le bord de la route d'un scénario sans réelle cohérence. Dans ce contexte peu favorable, l’ambiguïté parfois à la limite du soutenable qui faisait le sel des histoires de Trent Haaga semble ici avoir laissé place à un cynisme dénué de nuances qui présente le personnage principal comme une victime idiote manipulée par des femmes toutes plus cruelles les unes que les autres. Dès lors, la désillusion romantique qui rendait la fin de Deadgirl si tragique et dérangeante se transforme en une charge maladroite qui condamne unanimement les hommes (des idiots uniquement gouvernés par leur sexe) et les femmes (des succubes), avant d'offrir en bout de course une conclusion catastrophique aux relents mal assumés de misogynie. L'idée de départ consistant à retourner les processus habituels en objectifiant le personnage masculin au même titre que ses comparses féminines offrait quelques perspectives originales, cependant il manque au scénario la présence d’un personnage féminin proposant un minimum d’épaisseur (la jeune fille kidnappée au début semblait le candidat idéal mais son personnage reste une impasse scénaristique). Enfin, Haaga semble avoir eu beaucoup de mal à faire la transition entre les huis clos qui caractérisaient ses scénarios jusqu’ici et le road movie de 68 Kill, le film troquant le petit théâtre cruel des tragédies humaines pour une succession de péripéties sans grand intérêt et très rapidement ennuyeuses. C’est d’autant plus dommage que les projets portant la signature de Trent Haaga sont trop rares (Cheap Thrills date de 2013), on espère donc qu’il reviendra bientôt avec un film plus inspiré et digne de son talent de scénariste.

Enfin, pour conclure ce tour d’horizon des productions venues d’outre atlantique, que dire du Leatherface concocté par le duo français Alexandre Bustillo et Julien Maury… Plutôt inspirés à leurs débuts avec des films comme A l’intérieur et Livide, les deux français qui s’étaient pourtant longtemps retenu de répondre aux sirènes d’Hollywood semblaient un peu à court de jus avec Aux yeux des vivants, leur hommage bricolé au fantastique pré-adolescent et dernier long-métrage en date. Est-ce une trop grand difficulté à continuer d’exister dans le paysage du cinéma d’horreur français qui aura poussé les deux réalisateurs à accepter de se lancer dans le pari dangereux d’un prequel de l’un des monuments ultimes de l’horreur ? Autant le dire tout de suite, le résultat est une catastrophe qui ferait pencher vers l’hypothèse d’un accident industriel tant le film semble dénué de toute direction artistique cohérente. La très mauvaise idée du twist final semble par ailleurs avoir été ajoutée au dernier moment (une autre fin avait paraît-il été tournée) pour tenter de sauver le film du naufrage, mais ne fait au contraire que renforcer le sentiment d’escroquerie d’un long-métrage qui n’entretien qu’un rapport très lointain avec son illustre aîné. Il fallait tout de même mettre les bouchées doubles pour faire pire que toutes les suites, remakes et prequels médiocres qui composent le panthéon Massacre à la Tronçonneuse. C’est désormais chose faite et on ne peut que souhaiter au duo Maury/Bustillo de rebondir rapidement avec un autre projet à même de leur faire oublier cette malheureuse sortie de route.

leatherface1

Cette année, en raison d’un planning déjà très chargé en nouveautés, le PIFFF avait un peu levé le pied sur les reprises. Outre l’incontournable Jack Burton dans les griffes du Mandarin (superbe hommage de John Carpenter au cinéma populaire chinois), la projection d’une version longue inédite du Maître des Illusions de Clive Barker était l’occasion de redécouvrir la dernière tentative de réalisation de l’un des auteurs les plus importants de l’horreur contemporaine. Malgré la réussite artistique et commerciale de l'inoubliable Hellraiser (1987), la relation de l’auteur des Livres de Sang avec le cinéma aura été une suite de rendez-vous manqués dont ce film sorti en 1995 est la dernière étape (on pourrait revenir longuement sur la flopée de films adaptés des écrits de Clive Barker sortis depuis, et sur lesquels ils est souvent crédité à la production, mais son apport créatif y est toutefois très limité). Après la catastrophe que fut la production de Cabal (1990), Clive Barker avait revu ses ambitions à la baisse en adaptant l’une de ses propres nouvelles mettant en scène le privé Harry D’Amour aux prises avec un magicien maléfique. La première partie du film, qui rend directement hommage à la tradition du polar angeleno héritée de Raymond Chandler en lui ajoutant un élément fantastique fidèle à l’univers horrifique de Clive Barker est une belle réussite. Malheureusement, le reste n’est pas à la hauteur et le film a pris un sacré coup de vieux, accentué par l’utilisation peu judicieuse d’effets numériques datés. Déjà plombé par de nombreuses longueurs, le long-métrage n’est pas bonifié par la grosse dizaine de minutes qui viennent s’ajouter dans cette version director’s cut et qui n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Cela dit, et malgré ses nombreux défauts, Le Maître des Illusions dégage une ambiance singulière, quelque part entre l'hommage à un certain âge d'or du cinéma américain et la fantasy morbide teintée de masochisme qui fait regretter que ce film ait été la dernière incursion du maestro dans le domaine de la réalisation, les adaptations successives de son œuvre par différents cinéastes n’ayant jamais réellement su capter l’essence pourtant typiquement cinématographique de ses écrits.

lordofillusions

Le PIFFF proposait également une reprise de saison avec la version remastérisée de 3615 Code Père Noël, film culte réalisé par René Manzor à la toute fin des années 1980 (et produit par son frère Francis Lalanne). La première chose que le spectateur de plus de 30 ans remarquera est la troublante ressemblance entre ce film et le célèbre Maman, j’ai raté l’avion, long-métrage américain sorti un an plus tard et qui rencontra un immense succès public. Remake officieux, pompage ou coïncidence étonnante ? 3615 Code Père Noël est un objet étrange, profondément ancré dans une époque et qui existe sur le fil d’une frontière trouble entre un kitch terriblement daté et un humour subtil qui joue avec les références filmiques. La belle force du film réside ainsi dans la volonté (revendiquée par Manzor à l’occasion de la rencontre avec le public qui a suivi la projection) de filmer et raconter l’histoire du point de vue du gamin (interprété par le fils du réalisateur). Certaines scènes, qui pourraient à première vue paraîtrent à la limite de la parodie involontaire, prennent tout leur sens lorsqu’elles sont interprétées dans le contexte d’un rapport enfantin au monde où la réalité et le jeu se confondent, la matière même du film devenant une expression de la psyché du petit garçon qui se fantasme en John Rambo de poche. La présence du grand-père, élément absent de la version US, accentue la thématique de la filiation et du contraste entre l’univers des adultes et celui des enfants. Tandis que sa mère et son beau-père sont absorbés par leur travail (au point tout de même de laisser le gamin seul le soir de Noël), c’est le garçon qui va devoir protéger son grand-père – un adulte devenu vulnérable de par son grand âge – face à la menace mortelle représentée par l’intrusion dans le manoir d’un émissaire d’un monde adulte proprement cauchemardesque. Dans un retournement singulier, c’est ainsi l’enfant qui va devoir prendre en charge la sécurité du foyer et de son aîné, allié volontaire mais aux capacités limitées.

Véritablement submergé de jouets par sa mère, personnage fuyant qui semble avoir ainsi tenté de remplacer sa présence maternelle, le gamin s’est fabriqué un espace fantasmatique dans lequel les objets deviennent les artefacts de l’expression d’un monde intérieur qui colonise le réel. A ce titre, la très belle idée de la chambre secrète entièrement constituée de jouets ouvre la porte vers une interprétation onirique du film. Cet endroit n’est pas seulement le royaume de l’enfant, c’est le lieu qui incarne la relation de celui-ci au souvenir de son père disparu, un interstice dans lequel il est sauf de se réfugier lorsque l’espace de la maison est envahi par le tueur, mais dont il faudra pourtant sortir pour affronter et surmonter la menace. Ce n’est plus seulement un adulte anonyme que le garçon doit affronter mais une image du retour impossible de ce père dont l’absence hante le film, en une réalisation de l’émancipation de l’enfant forcé de sortir de son cocon fantasmatique. L’utilisation des jouets et autres mécanismes jusqu’alors cantonnés au ludisme afin de combattre une menace cette fois bien réelle devient un symbole de la survivance de l’âme d’enfant face à la contamination par la cruauté du monde adulte. La victoire ne consiste pas simplement à terrasser le tueur mais plus symboliquement en la survie d’un esprit enfantin, tourné vers le jeu et le rêve. Ce qui frappe également, c'est le mélange entre l’aspect presque naïf de la réalisation et la noirceur profonde qui émane des séquences mettant en scène le psychopathe, tout particulièrement au début du long-métrage. On est très loin du film familial avec ce personnage malsain ouvertement présenté comme un pédophile, chose aussi impensable dans la version américaine (dans laquelle il est remplacé par un duo de cambrioleurs) que le meurtre inaugural du chien, véritable tournant du récit qui extrait le gamin de l’univers du jeu (à ce moment du film il croit encore qu’il va surprendre le père noël) de la plus brutale des manières. Pas étonnant dès lors que ce film hybride n’ait pas rencontré le succès à sa sortie, tant il cultive l’ambiguïté entre film familial et horreur naturaliste. Bien que le plagiat n’ait jamais véritablement été reconnu, et alors que le film fit un four tandis que la version américaine allait devenir un succès stratosphérique, 3615 Code Père Noël permis à René Manzor d’être repéré par les pontes du cinéma américain (Spielberg et Lucas en tête) et lui offrit une très belle carrière dans l’industrie hollywoodienne. Le film et son auteur méritent véritablement la redécouverte à l’occasion de la ressortie en version remasterisée de cet objet décidément étrange et unique dans le paysage du cinéma français de l’époque.

codeperenoel1

Bien fournie en long-métrages de qualité, l’édition 2017 du PIFFF aura été marquée par la découverte de deux films intenses qui resteront comme les deux moments forts du festival. Annoncé comme une œuvre majeure et plébiscité par Guillermo del Toro et Alfonzo Cuarón, Tigers Are Not Afraid a finalement remporté le Grand Prix du meilleur long-métrage (décerné par le public) ainsi que le Prix Ciné+ Frisson du meilleur film. La réalisatrice mexicaine Issa Lopez nous entraine dans l’enfer d’un pays gangréné par la corruption et plongé dans l’horreur des cartels, théâtre d'un drame silencieux dont les premières victimes sont les enfants, orphelins abandonnés et cibles directes de la violence des criminels. Seule et isolée à la suite de la disparition de sa mère, une pré-adolescente va ainsi rejoindre une bande de gaminslivrés à eux-mêmes qui tentent de lutter à leur manière contre les caïds locaux et de survivre dans une fuite permanente et pourtant impossible. Le réalisme brutal du film, qui nous épargne peu de choses, est contrebalancé par les visions fantastiques qui guident la gamine et donnent à cette histoire âpre le ton d’un conte morbide. Comme un retour aux sources du conte, métaphore du choc entre le monde de l’enfance et l’horreur de la réalité, les images fantastiques ponctuent le récit par des apparitions merveilleuses autant que terrifiantes. Pour peu que l’on accepte cet artifice de mise en scène et qu'on se laisse happer par le récit, la cinéaste nous emporte dans un tourbillon d’émotions face au sort cruel et injuste réservé à ces oubliés du monde. La limite du film réside peut-être dans cette volonté parfois excessive de générer des émotions chez le spectateur, parfois à la limite du pathos. Le procédé peut paraître un peu simpliste, mais pour peu que l’on entre dans cet univers singulier exclusivement porté par une poignée de gamins, le film se déploie et donne corps à une réflexion profonde qui célèbre le courage et la persévérance de ces gosses qui refusent de se cantonner au rôle de victimes silencieuses. Le final sublime ouvre la possibilité d’une transcendance émergeant du chaos et rappelle que les enfants sacrifiés des zones de guerre sont eux aussi des rois auxquels l’avenir appartient, et que les assassiner revient à un meurtre de l’avenir même du monde. Finalement, la déclaration émue d’Issa Lopez recevant le Grand Prix à l’occasion de la cérémonie de clôture résumait bien le projet humaniste de son film et l’idée du cinéma comme acte militant à même de rapprocher auteurs et spectateurs autour d’idées fondamentales dépassant les frontières culturelles : « Nous ne parlons peut-être pas la même langue, mais nous parlons le même langage. »

tigersarenotafraid2

Enfin, du côté de notre rédaction, la plus belle surprise de cette édition aura été française, nouvelle preuve d’un certain renouveau du cinéma de genre tricolore amorcé par les succès critiques et publics (certes relatifs) de Ni le Ciel, ni la Terre et Grave. Au départ, Revenge avait pourtant de quoi laisser sceptique : tournage dans le désert américain (en anglais), musique électronique, héroïne sexy et vengeance ultra violente annoncée… Le début du film ne rassure pas vraiment puisqu’on retrouve tous les éléments pour une catastrophe esthétique, avec ce couple caricatural en villégiature dans une villa luxueuse en plein cœur du désert, bientôt rejoint par un duo de chasseurs beaufs qui lorgnent de manière dangereuse sur la petit bimbo hyper sexualisée. Le coup de génie de la réalisatrice Coralie Fargeat est d’avoir utilisé ces clichés et les attentes (négatives) générées par ces derniers comme piliers d’un retournement de situation autant narratif qu’esthétique. Après avoir été violée et laissée pour morte, la jeune fille ne va pas simplement se venger mais carrément prendre possession de la matière du film et de sa mise en scène. Au départ très portée sur ses attributs physiques, la caméra va peu à peu aller chercher son regard, et dans un même mouvement émancipateur filmer son corps meurtri et usé non plus comme un objet sexuel mais bien comme une icône rayonnant le charisme. La transformation fondamentale a lieu lors d’une superbe scène de renaissance, résultat d’un trip mystique et d’une auto-opération sidérante qui transforme la survivante en une action girl iconique. La cinéaste s’amuse pourtant encore de nos attentes en jouant des clichés d’un certain cinéma d’action, la renaissance en question étant d’abord présentée comme un fantasme très cinématographique vite torpillé pour laisser place à un mouvement plus authentique qui s’enracine dans les références filmiques pour mieux créer sa propre mythologie féministe. L’énergie vitale et sexuelle ainsi réclamée devient le moteur pour terrasser les hommes prédateurs dans une explosion cinématographique virtuose qui transforme chaque séquence en un tour de force et créé des images iconiques avec une facilité déconcertante.

Coralie Fargeat transcende également le genre codifié du rape & revenge (qui a d’ailleurs produit finalement assez peu de bons films) et livre un pur survival haletant qui utilise brillamment une quantité limitée de ressources. Après avoir retourné en sa faveur l’environnement particulièrement inhospitalier du désert, l’héroïne devra revenir dans la villa où a eu lieu le viol et y affronter son ancien amant dans une confrontation finale anxiogène et brutale. Au cours du film, la jeune fille va se réapproprier les objets et les lieux de la domination masculine : armes, véhicules et finalement cette villa qui va être quasiment entièrement aspergée de sang. Il lui aura finalement fallu revenir sur le lieu du viol pour confronter et détruire les responsables de son calvaire et cet acte libérateur – qui n’est pas tant un geste de vengeance qu’un élan de survie – semble avoir l’effet d’un révélateur : la catharsis a littéralement retourné la surface de la maison et révélé son immonde envers, les torrents rougeoyant du sang et de la souffrance qui se taisaient à l’intérieur des murs d’un luxe hypocrite et complaisant. Si les références à Rambo et autres survivants mythiques abondent, c’est la figure d’un autre ange de la vengeance qui émerge, l’inoubliable Ms. 45 incarnée par Zoe Lünd, une autre victime mutique qui se réinventait en beauté meurtrière (si la comparaison entre les deux personnages s’impose, le rapport d’Abel Ferrara aux personnages féminins est beaucoup plus problématique). La petite poupée toute dévouée au plaisir des hommes (sexuel, visuel ou fantasmatique) reprend possession de son corps blessé (et transpercé) pour se réinventer en femme fatale dont la sexualité n’est plus une expression de soumission résignée mais l’énergie vitale qui permet d’accéder à la réalisation de soi-même et d’une identité combative et héroïque. L’image devient alors un personnage, qui éclipse par sa présence la médiocrité de ceux qui avaient voulu la détruire. On pouvait difficilement faire plus actuel, mais au-delà de son discours, Revenge est surtout un excellent film de genre qui joue avec les attentes du spectateur et évite systématiquement toutes les ornières dans lesquelles il aurait facilement pu se prendre les pieds. Une nouvelle claque qui donne pas mal d’enthousiasme pour l’avenir du cinéma de genre français. Le film sort en salles le 7 février et on espère qu’il rencontrera son public !

Cette édition 2017 du PIFFF nous aura donc réservé quelques très belles surprises et une poignée de grands moments de cinéma, le tout dans une ambiance toujours chaleureuse portée par l'enthousiasme communicatif de ses organisateurs. Rendez-vous est d'ores et déjà pris pour l'an prochain !

revenge2 

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir