C’est désormais une coutume de rentrée, et TORSO était une nouvelle fois de la partie pour assister à L’Etrange Festival, 22e édition et tenter de se frayer un chemin dans une programmation toujours pléthorique et alléchante. Forcément, impossible de tout voir au sein d’un programme très dense, il aura donc encore fallu faire des choix parfois cornéliens et c’est un aperçu tout ce qu’il y a de subjectif et tout sauf exhaustif que nous vous proposons ici, état des lieux de rentrée à la faveur de la petite trentaine de films que nous avons attrapé au vol dans les recoins obscurs du Forum des Images.

Le soleil se lève à l’est…

L’Etrange, c’est toujours l’occasion de découvrir des œuvres venues des quatre coins du monde, avec une prédilection pour le cinéma d’extrême orient qui, il faut bien le dire, a souvent fait de l’étrangeté sa marque de fabrique. Et qui d’autre que les japonais pour se faire les ambassadeurs du (mauvais) genre ? Stakhanovistes, les cinéastes nippons chers à L’Etrange sont généralement présents chaque année au rendez-vous, et cette année ne faisait pas exception à la règle.

A commencer par l’inévitable Takashi Miike, qui revenait en compétition avec un blockbuster SF adapté d’un manga à succès. Présenté comme une variation sur le thème de Starship Troopers (film ultra culte au Japon, unique pays du monde où les quatre volets de la saga initiée par Verhoeven sont sortis en salles), Terra Formars est malheureusement très loin du niveau de la bombe dystopique du hollandais cher à TORSO. Répétitif et peu inspiré, il nous rappelle plutôt les antédiluviennes séries télévisées japonaises que les enfants des années 80 connaissent bien, avec transformations détaillées des bidasses en mutants insectoïdes dotés de superpouvoirs divers et variés. C’est évidemment bien maigre et le film n’évite le naufrage total que grâce à son humour et un second degré salvateur, mais c’est trop peu pour nous empêcher de dresser le constat qui se dessine pour Miike depuis maintenant plusieurs années : la créativité bouillonnante et hystérique des débuts semble avoir définitivement laissé place à un artisanat ronronnant et sans génie. Finalement, on continue d’aller voir les films de Takashi Miike à la faveur d’une réputation bien méritée, et de chercher à y déceler l’étincelle qui y manque cruellement aujourd’hui.

terraformars

Autre maestro toujours fidèle au rendez-vous, Sono Sion a quelque peu levé le pied après son année 2015 hyperactive et pas franchement convaincante. Bonne nouvelle, l’iconoclaste cinéaste a profité d’une commande de la Nikkatsu désireuse de fêter les 50 ans du « roman porno » pour livrer un Antiporno qui le voit renouer avec l’inspiration débordante qui le caractérise. Si le film est inégal et parfois paradoxalement un peu scolaire (la volonté d’expérimentation constante étant à certains moments quelque peu maladroite et finalement convenue), il n’en est pas moins un patchwork fascinant qui s’inscrit dans la lignée des expérimentations visuelles et narratives chères à l’auteur de Tokyo Tribe, et s’amuse à pervertir le genre érotique en une suite de mises en abîme qui s’emboitent et se télescopent pour créer une nouvelle confusion entre art et réalité, comme si l’existence n’était qu’une représentation médiatique comme une autre à l’intérieur de laquelle les rôles sont interchangeables et les illusions trompeuses. Le tout enrobé d’un érotisme gentiment provocateur et surtout d’un discours radical sur la place des femmes dans la société japonaise, du rôle que leur donnent les hommes mais aussi dans lequel elles s’enferment malgré elles. Un retour en forme qui nous aura bien évidemment fait plaisir. A noter qu’était également projeté The Sion Sono, documentaire sur le cinéaste réalisé par Arata Oshima (le fils du légendaire Nagisa Oshima). Un peu trop superficiel, le film n’en est pas moins un saisissant portrait de l’artiste, dont il éclaire intelligemment l’œuvre à la lumière de sa pratique des différentes disciplines artistiques et de sa relation à la culture populaire nipponne mais également occidentale. Et puis c’est l’occasion d’observer un personnage franchement à part et de revenir un peu sur le parcours peu commun d’un cinéaste persistant qui, mine de rien, aura mis près de 20 ans à percer et atteindre une véritable reconnaissance publique et artistique. On regrettera simplement que le film n’ait pas mis plus en avant le processus de création cinématographique de Sono Sion, qu’il effleure à peine.

Autre produit de la commande pinku eiga de la Nikkatsu, Wet Woman In The Wind se sera révélé comme une comédie érotique sympathiquement délurée et surtout, pourvue d’une intelligence jouissive mise au service d’une réflexion sur les relations hommes/femmes dans le Japon moderne et sur la composante du jeu (comme interprétation d’un rôle et activité ludique) dans les circonvolutions de la séduction. Mais malgré l’humour omniprésent et souvent pince-sans-rire, le constat proposé est plutôt désabusé et insiste sur l’isolement affectif des personnages, qui luttent chacun à leur manière, et l’impossible communication entre les sexes, qui ne se retrouvent et ne semblent se comprendre qu’à la faveur de coïts frénétiques. Cependant, loin d’en tirer un propos désenchanté ou moralisateur, le cinéaste encourage toujours plus ses personnages à s’investir dans une sensualité débridée qui seule, peut-être, leur permettra de se rapprocher et se comprendre. A l’image du film de Sono Sion, le réalisateur Akihiko Shiota développe un discours féministe qui interroge la place de la femme dans la société japonaise actuelle. Véritables moteurs systématiques de l’action, ces dernières semblent avoir pris une certaine avance sur leur contemporains masculins paumés, qu’elles tirent violement du marasme dans lequel ils baignent avant de s’éclipser comme pour mieux les laisser méditer sur l’énigme qu’elles représentent à leur yeux, et qui n’est pas prête d’être résolue.

antiporno

Le reste de l’Asie était également à l’honneur avec des productions venues des quatre coins du continent. Après l’immonde Killers, on a préféré éviter le nouveau thriller des « Mo Brothers » Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto, une erreur peut-être puisque Headshot a remporté le prix Nouveau Genre (ex-aequo avec Jeeg Robot, qu’on a pas vu non plus). Tant pis. On aurait également pu se passer du nanar chinois The Bodyguard, pourtant présenté comme le digne descendant des classiques de Bruce Lee… Hum, que dire sur cet inénarrable navet si ce n’est que c’est très mal filmé, rendu quasiment irregardable par un montage à la dynamite et même pas sauvé par un humour assez paresseux et dont on se demande à quel moment il s’arrête tant le film s’apparente parfois à une parodie involontaire du genre. Finalement, il faudra attendre le générique de fin et quelques images de making-of pour apprécier à leur juste valeur les prouesses martiales des acteurs. D’ailleurs, si L’Etrange passe le making-of  l’an prochain, on ira le voir, mais on évitera une hypothétique suite, malgré tout l’amour qu’on porte à priori pour les films d’arts-martiaux.

Sur un autre ton, on a pu découvrir The Tenants Downstairs, premier long-métrage d’Adam Tsuei, magnat taiwanais de la production musicale et apprenti cinéaste qui semble avoir mis à profit ses largesses financières pour réaliser un thriller fantastique débridé et largement dégagé des contraintes de la censure. Jeu de massacre en huis clos dans un immeuble dont le concierge vicieux n’a d’égal que ses locataires plus torturés les uns que les autres, le cinéaste s’amuse à faire s’imbriquer à n’en plus finir les situations et les différents appartements pour finalement révéler le côté obscur – et franchement meurtrier – de tout un chacun ou presque. C’est plutôt bien ficelé, la mise en scène usant de multiples procédés (le concierge en question a notamment installé des caméras dans chaque appartement, à l’insu des locataires cela va s’en dire) afin de cartographier un espace bien défini au sein duquel va se développer la narration. D’abords reclus dans les espaces clos de leurs appartements, les locataires vont ainsi être poussés plus ou moins volontairement à investir l’intimité de leurs voisins, et ce dérangement d’abord purement géographique va rapidement devenir un cataclysme relationnel. Belle réflexion sur l’isolement urbain, cette comédie noire, qui n’est pas sans rappeler le sadisme désenchanté de Dream Home (Pang Ho-Cheung, 2010), pèche tout de même par un manque d’originalité visuelle qui l’empêche de décoller véritablement. Dommage, car en utilisant sa quasi absence d’autocensure moins pour étaler les scènes de sexe et de violence (bien que le film s’en donne à cœur joie dans les deux domaines) que pour aborder des thèmes plus tabous les uns que les autres (homosexualité, inceste, masturbation, voyeurisme, etc.) et révéler l’hypocrisie des relation de voisinage et du vivre ensemble dans l’univers de promiscuité forcé de la mégalopole, Adam Tsuei réalise un coup d’essai plutôt réussi (et ce malgré un twist final  totalement inutile).

tenantsdownstairs

Moins habituée aux subversions du genre, l’Inde n’était pourtant pas en reste avec le nouveau long-métrage d’Anurag Kashyap, habitué de la Quinzaine des Réalisateur cannoise qui nous avait offert la claque Gangs of Wasseypur (2012) et le non moins intéressant Ugly (2013), deux portraits au vitriol d’un sous-continent indien miné par la corruption, la violence et l’individualisme. Avec Psycho Raman, Kashyap livre une variation sur le thème d’Un tueur sur la route, ladite route se coulant ici dans les innombrables ruelles décrépites et autres bas-fonds de Mumbai, une nouvelle fois présentée comme une Babylone décadente. A l’image de son dernier film, le cinéaste pourtant virtuose peine à transcender son talent, notamment parce qu’il se complait un peu trop à filmer sa course-poursuite criminelle – dans laquelle le poursuivant est tout aussi sanguinaire que le poursuivi – à grand renforts d’effets de style et de musique tonitruante. C’était déjà le défaut principal d’Ugly et c’est dommage car cela dessert le film bien que Kashyap parvienne à créer une ambiance suffocante et délétère illustrant parfaitement son propos. Au cœur de ce véritable cauchemar éveillé, au sein duquel les journées brûlantes et moites sont tout autant dangereuses et impitoyables que les interminables nuits criminelles, la confrontation entre le policier drogué et le tueur en série prend la tournure inattendue d’une relation fusionnelle.

Comme chez James Ellroy, auteur du roman sus-cité, la frontière entre crime et maintient de l’ordre est effacée,  et c’est la société dans son ensemble qui est criminogène ; la violence et la corruption circulant librement à tous les échelons du système, prenant les plus faibles comme victimes systématiques d’un monde dans lequel il n’y a plus que des prédateurs et des proies. Plutôt réussi lorsqu’il calme ses ardeurs démonstratives, le film est déséquilibré avec flic véreux trop terne et superficiel qui ne fait pas le poids face à l’interprétation hallucinée de Nawazuddin Siddiqui dans le rôle du psychopathe en errance, lui qui crevait déjà l’écran en transposition indienne de Michael Corleone dans le dyptique Gangs of Wasseypur, qui reste encore de loin l’œuvre la plus réussie et cohérente de son auteur. Cependant, et malgré les nombreux défauts de Psycho Raman (qui se tape également un long passage à vide à mi-parcours), la filmographie d’Anurag Kashyap ne cesse de s’enrichir d’œuvres toujours plus nihilistes et torturées, peignant le portrait désespéré d’une Inde malade de la fracture abyssale entre des élites corrompues et un peuple plongé dans la misère. Société dans laquelle la modernité galopante ne cesse de creuser le lit d’une misère ancestrale et universelle, terreau délétère qui semble condamné à engendrer toujours de nouveaux monstres qu’une société égarée, ne sachant qu’en faire, laisse grandir et prospérer dans l’indifférence la plus totale.

psychoraman

American Nightmares

Le cinéma américain indé, toujours prolifique en termes de cinéma de genre, nous aura offert quelques-unes des bonnes surprises de cette étrange cuvée 2016. Côté compétition, on attendait pas forcément grand chose de The Neighbor, thriller horrifique réalisé par Marcus Duncan, l’un des auteurs de la série Saw. Et pourtant, ce petit film sans prétention s’avère très efficace, intelligemment écrit et porté par un duo d’acteurs entre lesquels s’impose une belle alchimie (Luke Edwards et Alex Essoe, qui tenait déjà le premier rôle de l’intriguant Starry Eyes et qu’on aimerait décidément voir plus souvent). D’un pitch des plus communs (un couple de criminels presque repentis confrontés à un voisin autrement plus maléfique), Marcus Duncan tire un thriller oppressant qui a le mérite d’éviter les facilités inhérentes au genre – en évitant notamment les détours vers le torture-porn que son scénario l’invitait pourtant à prendre, ce courant semblant enfin s’essouffler – et de réserver des surprises scénaristiques qui lui évitent de tomber dans l’enchaînement d’événements platement prévisibles tout en évitant le gimmick facile. Au final, The Neighbor fonctionne plutôt bien et rempli parfaitement un cahier des charges certes classique mais néanmoins casse-gueule, enrobant le tout dans une ambiance sudiste poisseuse qui sied à merveille à son intrigue de huis-clos anxiogène.

Autre belle découverte, The Transfiguration s’était fait remarquer lors du dernier festival de Cannes avec son histoire d’un jeune garçon déclassé fasciné par la figure du vampire. Tout en ambiguïté, jonglant habilement avec les références méta, le film s’inscrit dans la lignée d’œuvres récentes qui jouent avec les codes du cinéma de genre à la lisière du film d’auteur, réalisant une fusion délicate de deux types de cinéma souvent injustement considérés comme antinomiques. Cette ambiguïté identitaire d’un film qui ne se réclame d’aucun courant mais existe à la croisée entre un cinéma indépendant filmant traditionnellement la vie des déclassés américains et cinéma d’horreur urbain hérité des années 1970 se retrouve dans l’errance du personnage principal, adolescent noir orphelin et persuadé d’être un vampire. Plutôt que de concentrer les enjeux de son récit sur une hypothétique révélation surnaturelle, le réalisateur Michael O’Shea se focalise sur la relation entre deux jeunes adolescents qui s’allient pour résister face aux agressions répétées d’un environnement cruel au sein duquel ils sont totalement abandonnés. Variation ambiguë sur le thème du réalisme vampirique, The Transfiguration rappelle d’autres œuvres qui prenaient déjà la figure purement fantastique du vampire comme point de départ métaphorique d’une réflexion sur la maladie (Martin de George Romero) ou l’addiction (The Addiction d’Abel Ferrara), et traitaient plus généralement de l’isolement affectif et social de personnages marginaux malgré eux. Ici, le vampirisme se veut également l’échappatoire fantasmagorique à une réalité qui est déjà en soi gorgée d’horreur et de trauma. Ce mélange des styles offre un film atypique, l’une des plus belles découvertes de la compétition.

theneighbor

Autre bonne surprise, la comédie noire Trash Fire de Richard Bates Jr., qui commence comme une comédie relativement classique avec la crise identitaire d’un couple dysfonctionnel avant de plonger peu à peu dans le thriller horrifique, le tout très largement agrémenté d’un humour franchement très noir. Superbement écrit et porté par l’interprétation désinhibée de ses deux protagonistes principaux, Trash Fire parvient à dresser le portrait de personnages totalement paumés sans tomber dans l’amertume ni la misanthropie, tant le réalisateur semble porter une tendresse sincère à ses étourneaux en perdition. En filigrane de son intrigue à rebondissements tous plus farfelus les uns que les autres, il propose également un discours cinglant sur le bigotisme qui règne encore et toujours dans une large partie de son pays, avant un final totalement imprévisible et radical. Proposant une alternative rafraichissante à la nauséabonde tendance actuelle de la comédie américaine à sombrer dans un puritanisme lourdingue et hypocrite (la bande à Apatow en tête de gondole), le film de Richard Bates Jr. navigue avec aisance entre les genres, et ce qui avait commencé comme une comédie potache se révèle peu à peu comme un véritable drame, glissant de la farce à la violence puis la tragédie au gré d’une spirale irrémédiable. Drôle et… glaçant.

Moins réussi, le retour de Carles Torrens, qu’on avait croisé à L’Etrange il y a quelques années avec un court-métrage primé (Sequence, 2013) et un peu plus tôt du côté de Gérardmer avec un found-footage plutôt inspiré (Emergo, 2011). Malheureusement, la mayonnaise ne prend pas avec ce nouveau long-métrage intitulé Pet, malgré un scénario à tiroirs qui réserve quelques surprises assez inattendues. Il y avait pourtant matière à quelque chose de plus original dans cette histoire d’un paumé qui vire psychopathe et de victime moins innocente qu’elle n’en a l’air. Cependant, peu servi par un casting grossier (la caricature du looser face à la trop jolie fille et son copain trop costaud) et une mise en scène sans génie, cette histoire de séquestration sur fond de fourrière canine ne décolle jamais et peine de plus en plus à convaincre au fur et à mesure qu’elle progresse, ce qui n’est évidemment pas une bonne chose. Si la femme fatale cachée dans la coquille d’une beauté stéréotypée toute droit sortie d’un poste de télé américain avait du potentiel, le concept s’avère inexploité et on finit par se demander si ce n’est pas tout simplement une énorme erreur de casting, tant on ne croit jamais à cette version féminine de Patrick Bateman. Finalement, d’une bonne idée (opérer un basculement scénaristique qui redistribue les cartes à mi-parcours et remet en cause les enjeux narratifs), Carles Torrens fait une faiblesse en ne parvenant pas à décider qui est le personnage principal de son film, et en survolant de très haut la psychologie torturée des ses protagonistes. Trop maladroitement volontaire et vraiment pas assez inspiré, dommage, car il y avait matière à mieux.

trashfire

Enfin, alors qu’on était en droit d’en attendre le pire, tant les remakes des succès horrifiques d’antan ont produit des œuvres indigentes, la « suite » The Blair Witch fait finalement figure de bonne surprise.Réalisée par Adam Wingard, cinéaste adepte d’un post-modernisme jusqu’ici peu inspiré, ce nouvel opus dans la mythique forêt du Maryland réalise le projet intriguant d’un retour aux sources du genre éculé du found-footage, avec le film qui fut véritablement le détonateur du tsunami stylistique qui à monopolisé le cinéma d’horreur pendant une quinzaine d’années.Mis en parallèle avec son illustre ainé, le film de Wingard propose un bilan plutôt inspiré des évolutions de notre rapport de spectateur avec l’imagerie horrifique et le postulat esthétique propre au found-footage. Alors que toute la force du film original résidait en un point de captation forcément très limité sur les événements, et qui offrait tout son crédit à la « véracité » des faits, Adam Wingard multiplie les gadgets (caméras embarqués, drone, caméra thermique) et les sources visuelles afin de fabriquer un film patchwork qui reste cependant fidèle au concept de base de son modèle : c’est bien dans le hors-champs et les ellipses qui réside toujours la menace et que se déploie le fantastique.

Fonctionnant comme un véritable tour de train fantôme dont la seule raison d’être est de faire frissonner le spectateur, The Blair Witch n’en est pas moins parsemé de très belles idées horrifiques, et réussi son pari en privilégiant un fantastique atmosphérique : c’est bien la forêt toute entière qui semble s’animer pour terroriser les campeurs égarés. Et c’est finalement en revenant aux sources de l'original que Wingard réalise les moments les plus réussis de son film, au fur et à mesure que les différentes sources visuelles s’épuisent. Ainsi, cette très belle séquence où le cadre semble se refermer autour de la protagoniste principale, créant un instant de respiration suspendu où la menace est devenu tellement omniprésente autours d’elle qu’il n’y a qu’en faisant abstraction du monde extérieur qu’elle peut éviter de sombrer dans l’hystérie. Wingard a également l’intelligence d’intégrer ces outils de captation visuelle dans les enjeux de la narration, ainsi le caméscope ou le drone ne sont plus seulement des sources d’images mais deviennent des outils essentiels dans la lutte pour la survie des personnages, au risque d’entrainer leur chute. A l’intérieur de la maison hantée ou dans les boyaux de celle-ci, le caméscope – objet primal du found-footage – devient ainsi le dernier élément « réel » qu’utilisent les personnages pour tenter de s’orienter dans le labyrinthe, l’objet clé qui permettra, peut-être, d’échapper à la sorcière lorsque celle-ci émergera des ténèbres. En multipliant les pistes de lectures, les mises en abîmes et les renvois au film original tout en expérimentant avec les divers outils du found-footage moderne, Adam Wingard réalise ainsi une suite beaucoup plus réussie que ce à quoi on était en droit de s’attendre.  

Cinéma global

L’Etrange Festival, c’est également toujours l’occasion de découvrir des films atypiques venus des antipodes, et cette année n’était pas en reste. Avec sa riche tradition d’un cinéma porté par le surnaturel et l’étrange (dont l’un des grands classiques, La Dernière Vague était d’ailleurs projeté dans le cadre de la carte blanche à Jaz Coleman), l’Australie nous aura offert cette année l’une des belles découvertes de la compétition internationale. Si les première minutes de Girl Asleep pouvaient faire craindre une resucée du cinéma à vignettes de Wes Anderson, le premier long-métrage de Rosemary Myers impose rapidement son style unique, certes inspiré de l’imagerie pop vintage du cinéaste texan mais qui trouve son identité propre en se tournant vers un univers onirique hérité de Max et les Maximonstres, avec sa forêt mystérieuse qui apparaît aux abords de la réalité quotidienne telle l’entrée vers un monde inconnu, promesse d’effrayantes merveilles. Débordant d’énergie et d’idées de mise en scène, Girl Asleep transforme l’entrée dans l’adolescence d’une jeune australienne déracinée en un rite de passage surnaturel au cours duquel il faudrait plonger en soi-même pour trouver les clés entre le symbolisme chargé de l’enfance et l’esprit aventureux de l’adolescence. En prenant comme décor une banlieue résidentielle australienne plongée dans l’exubérance visuelle des années 1970, la cinéaste créée également un parallèle nostalgique entre un moment historique (idéalisée) de naïveté et d’abondance, et cette période de l’enfance douillette et colorée, où les menaces du monde extérieur se limitent encore à des angoisses désincarnées. En fin de compte, le film est un très joli portrait d’une jeune fille, mais aussi d’une famille bienveillante confrontée à une communauté pas toujours accueillante, un appel coloré à l’affirmation d’une identité originale capable de partir à la découverte du monde adulte avec appétit et confiance en soi-même. Adapté d’une pièce de théâtre (déjà écrite et mise en scène par Rosemary Myers) et très inspiré par une imagerie pop héritée de la bande-dessinée, Girl Asleep n’en est pas moins une pure œuvre cinématographique, visuellement inspirée et construisant plan après plan une identité unique et originale. Les images, figées au premier abord (comme cette représentation sous cellophane des seventies), sont en fait formées de nombreuses couches superposées qui se révèlent peu à peu, un objet contenant un monde qui s’anime, une réalité en contenant une autre, dans un délicat hommage à la transcendance par l’imaginaire et la toute puissance du monde onirique, seuls capables de vaincre les angoisses existentielles propres à l’adolescence, et finalement à tout âge de la vie.

girlasleep

Porté aux nues par les grands noms expatriés du cinéma mexicain, We Are The Flesh (présenté hors-compétition) nous aura cependant laissé plus que circonspect. Si l’on ne savait pas vraiment quoi attendre de ce post-apo réalisé par un cinéaste issu du monde des arts visuels, on pouvait difficilement être prêt pour cette interminable séance de masturbation intellectuelle laborieuse et franchement vulgaire. A vouloir beaucoup trop en faire, provoquer par tous les moyens possibles (mais résolvant souvent autour d’une sexualité triste et dénuée de tout érotisme) et en se vautrant dans un symbolisme lourdingue, Emiliano Rocha Minter accouche d’un long-métrage  ampoulé et finalement ennuyeux, ce qui est le comble pour un film qui met autant d’énergie à tenter l’esbroufe cinématographique. Preuve s’il en est qu’il ne suffit pas d’empiler les séquences énigmatiques et les provocations gratuites pour créer une œuvre habitée. Atypique certes, le film rate le coche de l’inspiration et de la poésie, et la comparaison avec le parrain chilien de l’étrange n’aura qu’un peu plus souligné les failles d’un objet filmique sans intérêt qu’on aurait franchement pu nous épargner...

Justement, l’étrange parrain Alejandro Jodorowsky était de retour cette année avec le second opus de sa trilogie autobiographique, Poésie sans fin, cette fois inspirée de sa jeunesse bohème dans le Chili du milieu du vingtième siècle. Après les envolées oniriques de l’enfance à Tocopilla, ce second volet est quelque peu plus terre-à-terre – ce qui reste bien évidemment très relatif avec Jodorowsky – pour incarner les aventures bien concrètes d’une jeunesse exaltée toute dédiée à l’amour de la poésie. Le jeune Alejandro va ainsi rompre avec ses parents et quitter le giron familial pour embrasser pleinement sa vocation de poète, et vivre de petits riens et de grandes inspirations une existence libre aiguillée par les rencontres et les amitiés. On y croise figures historiques et illustres inconnus – les seconds souvent plus essentiels dans le cheminement du jeune Alejandro – et le film s’incarne avant tout comme un vibrant hommage aux amis qui ont permis à l’auteur de se révéler à lui-même, et qu’il abandonne finalement à la fin du film pour partir à la conquête de Paris et de ses rêves d’une existence entièrement dédiée au surréalisme. Empreint d’une nostalgie jamais amère, d’un humour bienveillant et d’un enthousiasme toujours renouvelé dans le geste créatif, Poésie sans fin est une suite de tableaux qui incarnent les souvenirs comme des reconstructions oniriques plutôt que comme une restitution réaliste qui serait nécessairement tronquée. Le page chilien continue ainsi son autobiographie en forme de songe coloré, et prouve une nouvelle fois qu’il n’y a pas d’âge pour créer lorsque l’on déborde d’une inspiration renouvelée. Le public de l’étrange ne s’y sera pas trompé en lui décernant son prix, tant Poésie sans fin n’est rien d’autre que l’épanouissement émerveillé du programme annoncé par son titre, un hommage vibrant à la poésie de l’existence et aux compagnons d’une époque et d’une existence vouée à la poésie, et à la force du cinéma qui seul peut offrir à un auteur de faire revivre les disparus et réparer enfin par la fiction les erreurs restées incrustées dans la réalité d’une existence toute entière portée vers l’horizon, mais qui n’a jamais abandonnée sa valise emplie de souvenirs et des blessures du déraciné.

poesiesansfin

Et la France ?

Le dispache des films français au sein de la programmation avait de quoi surprendre. En effet, pour des raisons qu’on imagine justifiées mais qui nous échappent, le long-métrage présenté en compétition internationale semblait plus à sa place du côté des nouveaux talents, et vice-versa. En effet, on comprend l’envie de soutenir l’équipe à l’origine de Sam Was Here, partie tourner ce premier film de genre en une poignée de semaines dans le désert californien. Mais force est pourtant de constater que le long-métrage de Christophe Deroo ne parvient jamais à s’élever au dessus de l’ersatz de l’œuvre autrement plus originale d’un autre cinéaste français habitué aux décors du Sud-ouest américain. En effet, tout ici – décors, tournage en langue anglaise, cadrage, mise en scène, tendance à l’absurde, personnage principal, bande-son électro tonitruante – rappelle les films atypiques de Quentin Dupieux, dont le style est trop original pour qu’il puisse être aussi allègrement copié sans qu’on ait immédiatement le sentiment d’être devant un pur plagiat stylistique. Il semble même étonnant que les auteurs du film se soient à ce point calqué sur l’original sans se remettre en question à aucun moment, ou en tout cas sans mitiger un minimum leurs emprunts. C’est d’autant plus dommage que le film devient plus intéressant dans une seconde partie en forme de traque cauchemardesque qui s’éloigne de son modèle stylistique pour mettre en place un univers qui tend plus vers le thriller surnaturel que la comédie absurde. Le relatif succès du film tient ainsi dans l’illustration d’une bascule irrémédiable d’une réalité étrange vers un cauchemar total où le monde entier n’est plus qu’agression entièrement ciblée sur le pauvre personnage principal. Il y avait dans cette idée d’une porosité entre réalité et cauchemar qui n’est pas sans rappeler le Carpenter de L’antre de la folie une matière qu’un traitement visuel (et musical) plus original aurait pu faire décoller. En l’état, le film ressemble beaucoup trop à l’œuvre d’un cinéaste à la mode pour pouvoir revendiquer une quelconque identité originale, et c’est vraiment regrettable.

Bien plus singulier, le surprenant Grave renoue avec ce qui fit la radicalité et l’inspiration de l’époque des « French frayeurs ». Un filiation d’ailleurs revendiquée par la présence dans un rôle secondaire de Laurent Lucas, l’inoubliable martyre de Calvaire, l’un des films les plus réussis d’un courant finalement très inégal. L’originalité du postulat – une adolescente brillante et timide rejoint sa grande sœur délurée dans une école vétérinaire – et de l’écriture créée dès le début du film une ambiance poisseuse et atypique, qui met finalement bien plus mal à l’aise que les scènes explicites qui jalonneront ensuite le film. Détournement judicieux de la chronique adolescente, la cinéaste débutante (qui avait déjà participé à l’écriture de l’excellent Ni le ciel ni la terre, et s’inscrit ainsi activement dans un certain renouveaux du cinéma fantastique français) a l’intelligence de filmer son histoire sans insister sur l’étrange et le surnaturel, préférant une approche quasi documentaire au sein de laquelle vont peu à peu s’insérer des éléments perturbateurs de plus en plus outranciers. Finalement, ce qui dérange le plus, ce n’est pas tant les débordements gores du film que sa manière d’insister sur l’omniprésence de la chair – dévorée, désirée et habitée – dans notre quotidien. En insistant sur ce qu’on ne considère habituellement que comme un élément banal de l’existence, la réalisatrice amène le malaise pour mieux préparer le terrain d’une horreur naturaliste, et il est rafraîchissant de voir un film de genre français embrasser autant une identité singulière sans chercher à calquer les modèles asiatiques et américains.

Le film s’amuse également avec les attentes du spectateur en proposant de nombreuses fausses pistes, à l’image de ce titre en forme de clin d’œil (le terme « grave », qui signifie « tombe » en anglais, est présent dans tellement de titres de films d’horreurs qu’il évoque forcément quelque chose aux amateurs du genre). La menace semble ainsi perpétuellement venir de l’extérieur, illustrant subtilement la peur et le malaise engendré par la découverte d’un environnement totalement nouveau régit par des règles incertaines, avant de se révéler comme intime, familiale et personnelle. Julia Ducourneau, qui a également écrit le film, se démarque également par la qualité de dialogues qui sonnent juste, utilisant un langage moderne parfois étonnant (« elle envoyait du bois ») qui amène de la crédibilité à l’horreur réaliste. Plutôt que de chercher à apporter des explications au surnaturel qui s’immisce subrepticement dans son récit, ce dernier avance bien ancré dans sa propre réalité inquiétante, ce qui rend les événements singuliers du film d’autant plus glaçants. Plutôt que de chercher à apporter des explications au surnaturel qui s’immisce subrepticement dans son récit, ce dernier avance bien ancré dans sa propre réalité inquiétante, ce qui rend les événements singuliers du film d’autant plus glaçants. Grave doit finalement autant à l’horreur naturaliste d’un certain cinéma américain des années 1970 et 1980 qu`à la bande-dessinée (Charles Burns et Black Hole ne sont pas loin, mais on est aussi parfois du côté de Creepshow), mais également à la propension au débordement gore et à l’horreur intime du cinéma asiatique, mais c’est en offrant une version radicalement francophone et européenne des ces thématiques qu’il forge sa véritable originalité.

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Reprises

L’Etrange Festival, c’est bien sûr également l’occasion de voir ou revoir des classiques du cinéma, ainsi que quelques documentaires atypiques. Cette année, le festival offrait un hommage à Frank Henenlotter, dont on a jamais autant parlé qu’en 2016 puisque même les Cahiers du Cinéma lui ont offert deux pages d’interview dans leur numéro d’octobre 2016 (suite à son passage parisien, justement) et qu’il à droit à des rétrospectives un peu partout (nous avions eu la chance de le rencontrer en Mars lors de sa venue à Bruxelles, nous en reparlerons). Evidemment, cette reconnaissance « mainstream » tardive (et toute relative) fera plaisir à tous ceux qui vouent un culte au bonhomme depuis la découverte en VHS (ou au cinéma pour les plus vénérables d’entre nous) de Frère de Sang et Elmer. On pouvait donc revoir ces deux classiques ainsi que Frankenhooker et Frère de Sang 2, et croiser Henenlotter himself dans les couloirs du Forum des Images.

D’autre part, le festival proposait des hommages à Andrzej Zulawski et Shohei Imamura, deux cinéastes essentiels dont la redécouverte des films sur grand écran est toujours un must. Entre deux nouveautés, on aura ainsi eu le plaisir de découvrir Conchons et Cuirassés (1961), superbe fresque désenchantée sur le Japon occupé d’après guerre. A travers le parcours d’un couple de jeunes japonais rêveurs et un peu naïfs, Imamura dresse le portrait d’un pays militairement vaincu et rongé par la corruption, en pleine crise identitaire et qui n’a rien d’autre à ofrrir qu’un horizon bouché pour une jeunesse désemparée. Dans le cadre de la thématique « A la liberté ou à la mort », consacrée aux courants révolutionnaires des années 1970 de par le monde, on avait également l’occasion de voir ou revoir des classiques plus récents comme Buongiorno, Notte (Marco Bellochio, 2003), La Bande à Baader (Uli Edel, 2008) ou encore United Red Army (Koji Wakamatsu, 2007). Ce dernier, fresque de trois heures sur un pan méconnu de l’histoire japonaise (les mouvements étudiants de gauche et la dérive sectaire de certains d’entre eux), dessine le portrait de l’éveil politique de cette jeunesse sacrifiée décrite chez Imamura à l’orée des années 1960. Après un long prologue qui mélange archives et fiction, le film s’articule autour de deux huis-clos qui vont décrire l’inexorable plongée de l’Arme Rouge Unifiée japonaise dans un délire sectaire autodestructeur et le siège de dix jours qui précéda l’arrestation de ses derniers membres. A travers un groupe de personnages aux idéaux révolutionnaires sincères qui vont dériver face aux échecs répétés de leurs projets, Wakamatsu dresse le portrait d’une génération portée par le rêve d’un Japon nouveau et décrit le trajet propre aux mouvements révolutionnaires, qui commencent et se terminent par un petit groupe d’irréductibles après avoir portés des milliers de personnes. Mais le cœur du film est le lent glissement de cette Armée Rouge Unifiée (fruit de la fusion des deux factions les plus radicales des mouvements étudiants) vers une purge interne qui aura ultimement causé la mort de la moitié de ses membres. Où comment les esprits idéalistes, enfermés en vase clos et condamnés par une rigidité aveugle, sont capables de dériver vers l’horreur. Sans juger ses personnages ou chercher à analyser leur comportement, et en décrivant minutieusement cette descente au enfers collective, Wakamatsu laisse au spectateur le soin de tirer ses propres conclusions.   

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D’autre part, L’Etrange Festival s’était associé cette année au cinéma Les Fauvettes pour fêter les 100 ans de la Gaumont, l’occasion de découvrir quelques films trop rares. Inspiré du roman éponyme de Drieu la Rochelle, Le Feu Follet est probablement le sommet de la prolifique carrière de Louis Malle. Tourné au début des années 1960, le film suit l’errance désenchantée d’un homme dans le Paris qui fut autrefois le théâtre de sa vie hédoniste. Glaçant dans sa manière précise et réaliste de retranscrire le vide existentiel d’un dépressif suicidaire qui a déjà passé le point de non-retour, il s’impose comme une réflexion austère sur le temps qui passe, la fuite de la jeunesse et le désespoir irrémédiable de celui qui est intimement convaincu que l’apothéose de son existence est définitivement derrière lui. Sur les accords mélancoliques de la musique d’Eric Satie, les déambulations de Maurice Ronet dans la ville semblent être celles d’un roi déchu dans un royaume devenu étranger, ou bien d’un homme du monde qui ne serait plus chez lui nulle part, et qui collectionne les images du passé (en particulier de sa femme restée au bout du monde) comme des preuves tangibles d’une vie dont il s’éloigne irrémédiablement. Peut-être le plus grand film sur la dépression et le vide existentiel, en tout cas l’un des plus forts.

Dans un autre genre, cette rétrospective proposait un autre chef d’œuvre, également inspiré d’un roman majeur et qui appartient à la dernière génération des œuvres de l’âge d’or du cinéma italien. Avec La Peau, Liliana Cavani adaptait le roman autobiographique de Curzio Malaparte consacré à la libération de Naples par les forces américaines, avec Marcello Mastroianni dans le rôle principal d’un officier italien ayant autrefois adhéré au fascisme et qui participe à la libération de l’Italie aux côtés des alliés. A travers le regard désenchanté de cet homme ambigu, on découvre l’horreur de la libération pour le peuple vaincu dans une ville abandonnée à la misère et la corruption. Trop rarement montrée au cinéma et généralement absente des livres d’Histoire, la face cachée de la libération et de l’occupation américaine est ici dénoncée sans concessions et à travers des images crues au symbolisme explicite qui auront sans aucun doute participé au scandale et à la censure rencontrés par le film à sa sortie en 1981. Baroque et impitoyable, La Peau montre une Italie à feu et à sang, traumatisée par une guerre loin d’être terminée. Naples semble ainsi devenue une cité décadente et apocalyptique dans laquelle tout est à vendre, en premier lieu le corps des femmes et des enfants, gouvernée par la mafia et une armée américaine totalement désintéressée du sors des locaux. S’il narre des événements bien ancrés dans une réalité historique des plus sordide, le film illustre la folie ambiante par des glissements à la limite du fantastique, comme ce dîner bourgeois sous les bombes où l’on sert une « sirène » comme plat de résistance, dans une ville qui semble être revenue à l’époque de Babylone. Ce climat apocalyptique trouvera son apothéose dans l’éruption (historique) du Vésuve, tandis que les cendres pleuvent sur les habitants paniqués. Témoin impuissant (mais pas innocent) de la souffrance de son peuple et de la brutalité aveugle de la guerre, Malaparte semble errer dans Naples comme dans les ruines d’un monde dévasté, en proie à la déréliction morale, et observe en silence le sacrifice de son peuple tandis que la bourgeoisie italienne autrefois fascisante se gave aux côtés des vainqueurs. Et le film, qui s’épanouit dans l’outrance, de se conclure sur une métaphore sanglante du carnage de la libération italienne.

Entre nouveautés et classiques, L’Etrange nous aura une nouvelle fois offert un festival de découvertes en tout genres, et venues des quatre coins du monde. Dans l’ensemble, le programme aura une encore tenu ses promesses et témoigne de la bonne santé mondiale d’un certain cinéma, qui sort des sentiers battus et propose une alternative au cinéma grand public souvent ennuyeux qui inonde les salles obscures. Vivement l’an prochain ! 

lapeau

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