BIFFF 2016, 2ème PARTIE
Suite et fin de notre dossier consacré à la 34ème édition du Bifff.
Asia Market
Si Monster Hunt laisse naturellement prévoir un film de monstre, c'est surtout un film monstrueux. L'un des plus gros succès de tous les temps au box office chinois s'avère être un énorme gâteau à la crème familial, qui mêle aventure et action « du cru » avec une esthétique d'animation américaine dégoulinante. Le réalisateur, Raman Hui, a fait un long détour par Dreamworks, et il en a clairement gardé de graves séquelles. Difficile d'adhérer à cette bouillie digitale kitsch et poussive. Rendez-nous le Miike de Great Yokai War !
De Miike, justement, il en était question avec Yakuza Apocalypse. Alors qu'il alterne actuellement, comme il l'a plus ou moins toujours fait, longs-métrages de pure commande (As The Gods Will, Kaze Ni Tatsu Raion) et tentatives iconoclastes ass réussies (Over Your Dead Body), Takashi Miike peine quand même un peu à déchaîner les passions comme à l'époque d'Audition, Gozu ou de ses fragiles Bird People in China ou Ley Lines. En somme, il donne l'impression d'être à la fois partout et nulle part, sans qu'aucun de ses films ne parvienne plus à s'imprimer durablement sur nos rétines, probablement depuis 13 assassins. Yakuza Apocalypse n'y changera rien. On y retrouve un Miike familier (son amour pour les trognes de yakusas, des happenings non-sensiques, un goût du virage narratif sec), mais comme piloté par ses propres réflexes. Certaines idées font mouche (l'excellent clip psychédélico-kitsch de la plantation d'enfants, la grenouille géante qui fait du kung-fu...) mais l'ensemble donne l'impression un peu triste que Miike réactive des automatismes mais n'y croit plus vraiment.
Memories of The Sword de Park Eung-Syk est un wu xia pian à gros budget, totalement classique, à ceci près qu'il est Coréen et non Chinois. On y suit une jeune assassin entraînée au sabre dès sa prime jeunesse pour venger ceux qui ont tué ses parents. L'intrigue se déroule au gré de ses passages obligés (combat dans une forêt, entraînement avec un vieux maître, longs monologues révélant un point caché du passé), avec plus ou moins d'efficacité et malheureusement assez peu de singularité. Le rythme est peut-être le défaut principal du film, qui peine à donner de la tension et de la profondeur aux longs dialogues explicatifs déclinés avec un sérieux de plomb.
Au rayon des films qui n'avaient pas grand-chose à faire au Bifff, citons The Beauty Inside, bluette coréenne de Yong-Jeol Baek. Malgré son postulat fantastique (un personnage change de corps et de visage à chaque fois qu'il se réveille), on s'étonne de découvrir ici cette comédie romantique parfois drôle et dans l'ensemble très soignée, mais trop conventionnelle. Alors que le thème offrait quantité de sujets potentiels (celle de l'identité, du désir...), le film ne l'utilise que comme gimmick tour à tour comique ou mélodramatique.
Fantasma
Les influences de Sensoria sont claires, tant le jeune cinéaste (dont c'est le premier long) Christian Hallman ne cesse de leur prêter allégeance : De la citation de Lovecraft qui ouvre le film à un dialogue lourdement appuyé (« Je suis allé chercher à manger chez Lamberto, puisque Mario était fermé »... hum), c'est très explicitement que le film se réfère à Bava (surtout Mario, donc) mais aussi au Hideo Nakata de Dark Water, à Roman Polanski ou encore Jaume Balaguero. Sensoria est donc un film de fantôme suédois, dont l'image trahit sans cesse la maigreur du budget, même si la mise en scène s'avère relativement opérante. Un lourd climat de présence fantomatique fait mouche au départ, mais il est malheureusement très difficile de se passionner pour cette ghost story à l'histoire vue mille fois, et peu servie par une photo pâlotte et des effets horrifiques assez peu efficaces.
Backtrack, de Michael Petroni, semble venir d'un autre temps : celui des thrillers horrifiques "psychologiques" qui ont pululé après le succès du 6ème sens. Un psychiatre officie dans la banlieue de Sydney (dont le décor industriel et strié par les passages du train est assez bien rendu) et se rend compte que tous ses patients sont en fait morts, un jour mystérieux de 1987. Petroni fait heureusement évoluer ce pitch assez idiot vers une enquête introspective durant laquelle notre personnage va devoir se rappeler d'un moment de son adolescence où quelque chose s'est passé, sans qu'il puisse se rappeler quoi. Routinier, le scénario se développe jusqu'à la révélation, et la mise en scène essaie de maintenir éveillé avec une poignée de scènes horrifiques assez palottes. L'ensemble se suit sans déplaisir, comme un fidèle compagnon d'insomnie vaporeuse, mais ne sort d'aucun sentier (re)battu.
Pas grand-chose à dire sur la ghost story convenue et mal fichue de Lingo Hsieh, The Bride. Bien qu'en provenance de Taiwan, cette adaptation d'une histoire traditionnelle du pays a tout du succédané boursouflé de Ju-On ou Ring qui pullulaient il y a quelques années. Aucune personnalité, pas le moindre talent pour susciter l'angoisse, et tristement convenu.
En vrac...
Cela fait déjà quelques films que les farces jadis féroces d'Alex De La Iglesia semblent avoir perdu de leur mordant. Cela ne changera pas avec My Big Night, dont l'idée était pourtant alléchante : nous plonger l'interminable marathon du tournage d'une émission télévisée de variétés produite pour le soir du 31 décembre. Le décorum et sa peuplade de chanteurs ringards, de magiciens, de comiques baroques, était propice à un jeu de massacre fellinien, et quelques excellentes idées caustiques pointent leur nez ici et là (moments terribles des éclats de rire feints exigés par la production, et hystérisés par le drame réel qui se joue sur ces visages). Le film étant ponctué par certains numéros de l'émission, une tension aurait pu naître entre le régime de représentation de l'émission télévisée et le film lui-même. Il n'en est rien, la mise en scène ne faisant qu'illustrer un peu platement un récit qui progresse en suivant de manière routinière les différentes trames correspondant aux multiples personnages de ce récit choral. A la satire violente que l'on avait envie de voir se substitue une sorte de feuilleton excité, mais à l'énergie un peu vaine.
Un torture-porn dans lequel un prof aigri séquestre deux adolescents tête à claques pour leur transmettre son « savoir » (entendre : des palabres interminables sur l'inspiration, des mots à chercher dans le dictionnaire en moins de dix secondes...) avec force menace de clous christiques plantés dans les mains, vous en rêviez ? Ruth Platt l'a fait quand même avec The Lesson, nouvelle pierre à l'édifice d'un cinéma anglais fortement agacé par sa jeunesse. Exit la bouffée d'air frais et la tendresse d'Attack The Block, retour à l'amertume réactionnaire d'Eden Lake ou de Citadel. Si le vrai tortionnaire devient vite le prof éructant face à une jeunesse soudainement victime, il n'y pas d'inversion de sympathie ou de vérité cachée derrière les apparences, il n'y a simplement aucune sympathie pour qui que ce soit, au mieux de la pitié. Caméra à l'épaule, éclairage terne pour « faire réel », regard faussement compatissant sur des personnages que la cinéaste adore manifestement détester, tout y est... Sauf l'essentiel : une réflexion, ou tout au moins un regard sur son sujet.
Pur produit indé, primé à Fantasia ou à Slamdance, They Look Like People de Perry Blackshear voudrait tout à la fois être Donnie Darko, Take Shelter et Bellflower. Du coup, il surjoue un fantastique rentré et répétitif ponctué de vignettes de camaraderie auxquelles on ne croit pas une seconde. Un scénario de court-métrage étiré sur une interminable heure 20 poseuse et tristoune.
Voir aussi :
Men & Chicken d'Anders Thomas Jensen
The Invitation de Karyn Kusama